Exposition Stanley Kubrick à la Cinémathèque Française (23 Mars 2011-31 Juillet 2011)

Vous avez envie d’assister à l’évènement cinématographique de l’année ? Alors direction la Cinémathèque Française à Paris. Une fois entré dans le bâtiment crée par Frank Gehry, aussi créateur du musée Guggenheim à Bilbao en Espagne, vous serez immédiatement plongé dans l’univers de Kubrick grâce à une affiche grandeur nature des troublantes jumelles de The Shining, qui vous accompagneront tout au long de votre montée en ascenseur au 5ème étage. L’exposition se déroule chronologiquement. Vous pourrez ainsi découvrir les premiers films de l’artiste c’est-à-dire des court-métrages méconnus du grand public : Day of the fight (1951), Flying padre (1951), The Seafarers (1953). Dès le début de l’exposition, l’âme de Kubrick semble planer sur le musée. C’est en tout cas l’impression que donne cette chaise gravée au nom du réalisateur et désormais vide. Ce vide n’est pas sans rappeler le manque terrible que la perte de ce génie visuel a causé au septième art. Continuons. Entre deux panneaux sur l’Ultime Razzia et Le baiser du tueur trône la célèbre caméra Eyemo du réalisateur.

Otto Dix, La guerre 1929/1932
Otto Dix, La guerre 1929/1932

De magnifiques affiches annoncent la partie consacrée aux Sentiers de la gloire. A retenir ? L’inspiration des peintures d’Otto Dix sur le film et la rencontre avec Christiane Harlan, la chanteuse allemande que l’on voit à la fin du film et qui deviendra Madame Kubrick. C’est d’ailleurs en partie à elle que l’on doit cette sublime exposition et ce n’est pas sans émotion que sa scène dans Les sentiers de la gloire passe inlassablement. L’on note également le scandale que le film a engendré puisqu’il a été censuré et interdit pendant longtemps dans certains pays. Ainsi, la France a dû attendre 1975 pour découvrir ce chef d’œuvre.

Des toges romaines annoncent Spartacus, ce film à l’origine tourné par Anthony Mann. En effet, le réalisateur et Kirk Douglas s’étaient violemment disputés sur le tournage et Douglas avait choisi de donner les rênes à Kubrick avec lequel il venait de tourner Les sentiers de la gloire. L’on note que les scènes suggérant l’homosexualité entre Antoninus et Crassus ont été supprimées et que Kubrick très perfectionniste donnait des numéros aux figurants afin de contrôler chaque geste.

Passons à Lolita, encore un film qui a fait scandale. Kubrick et Nabokov, l’auteur du roman du même nom ont collaboré pour l’adaptation cinématographique. A l’époque, Sue Lyon, 14 ans obtient le rôle de la nymphette et son interprétation fait aujourd’hui date dans le registre des lolitas. Une robe à pois et un canapé en forme de bouche sont là pour vous plonger dans l’ambiance très 1960’s de ce film.


© Deutsches Filminstitut, Frankfurt

Passons à Docteur Folamour ou comment j’ai appris à ne plus m’en faire et à aimer la bombe. Kubrick prouve une nouvelle fois qu’il était un homme en accord avec son temps. En pleine guerre froide, et deux ans seulement après la crise des missiles de Cuba, Kubrick adapte librement Alerte Rouge de Peter George, un roman sur la tension nucléaire. L’exposition s’intéresse de plus près à la construction de la salle de guerre conçue par Ken Adam. Une magnifique maquette de cette salle vous rappellera l’une des scènes les plus mythiques du film. Un encadré explique l’importance de la lumière dans la salle de guerre. Enfin, non loin d’une reproduction de la bombe, vous tomberez sur des photographies montrant les acteurs se jetant des tartes à la crème en pleine figure. L’on apprend alors que cette scène hautement burlesque a été tourné mais n’a pas été sélectionnée au montage car Kubrick craignait qu’elle discrédite le film. Le billet de l’avant-première annulée et sur lequel Kubrick avait écrit : Annulée, Kennedy a été assassiné, vous interloquera tout comme le kit de survie dont il est question dans le film et qui contient : des préservatifs, une mini Bible, des phrases en russe etc …


© Site de la Cinémathèque Française

Peu après une importante partie de l’exposition est consacrée au désormais culte 2001: l’odyssée de l’espace. Film ayant révolutionné les effets spéciaux, l’exposition détaille un certain nombre de points techniques. De nombreux objets sont là pour nous rappeler que 2001 : l’odyssée de l’espace est avant tout une expérience visuelle. Ainsi, vous pourrez voir une maquette de la centrifugeuse en action, le costume complet d’astronaute de Dave Bowman mais aussi celui de guetteur de lune. La tête du singe est même exposée dans une vitrine afin de nous montrer le mécanisme de ce costume plus vrai que nature. Au dessus de vos têtes, le fœtus astral et le vaisseau Discovery sont suspendus et donnent un aspect mystique à la pièce. Enfin, vous sourirez certainement en découvrant le fonctionnement des toilettes de l’espace. Notons un autre point intéressant : l’espace consacré aux relations entre le film et les marques. L’on apprend que Kubrick avait, à l’époque, cherché les dernières innovations en termes d’objets. Ainsi, la société Parker a été sollicitée pour les stylos, Hamilton a fourni les montres et Vogue s’est chargé des costumes.

Intéressons nous à Orange mécanique, l’une des œuvres les plus scandaleuses de Kubrick, qui suite à des menaces avait demandé à faire retirer de l’affiche le film, qui pourtant connaissait un grand succès en salles. Pour adapter le roman d’Anthony Burgess, Kubrick s’est laissé influencer par la vague Pop art et le travail sur la femme-objet d’Allen Jones. Vous pourrez d’ailleurs admirer deux reproductions du mobilier du Moloko Bar. La reproduction du costume d’Alex ne vous laissera pas non plus indifférent.

Kubrick a su toucher à tous les genres. Au fond de la pièce, les somptueux costumes portés par Ryan O’Neal dans Barry Lyndon contrastent avec ceux de la pièce précédente dans laquelle Alex et ses droogs tapissaient les murs. Pour adapter le roman de Thackeray, Kubrick avait fait de nombreuses recherches notamment sur les costumes, les maquillages et la lumière. C’est dans cette pièce que trône le désormais mythique objectif Zeiss, développé par la NASA pour photographier la mission Apollo.


© Copyright Thomson Reuters 2011 / Jacky Naegelen

La pièce consacrée à Shining vous donnera sans doute quelques frissons. Les robes des jumelles sont sagement exposées tout près des haches dont Jack sait si bien se servir. Une maquette du labyrinthe représentant l’état mental de Jack et l’une des machines à écrire utilisée par le personnage joué par Jack Nicholson sont autant d’éléments qui vous rappelleront ce film culte. Le fauteuil roulant utilisé dans Orange mécanique pour transporter Alex et plus tard recyclée pour être équipée d’une steadicam afin de pouvoir tourner la scène de Danny pédalant à toute allure dans les couloirs de l’hôtel, se trouve dans la pièce et rappelle l’inventivité du cinéaste. Vous pourrez également découvrir un panneau très intéressant sur l’adaptation cinématographique et les différences entre le roman de Stephen King et le film de Kubrick.


© Deutsches Filminstitut, Frankfurt

L’exposition se poursuit deux étages plus haut. Concernant Full Metal Jacket, adapté de Le Merdier de Gustav Hasford et des mémoires de guerre de Michael Herr, vous serez sans doute surpris d’apprendre que le film a été tourné en Angleterre, dans une usine de gaz désaffectée. Pour les besoins du film, Kubrick avait fait importer des palmiers d’Espagne. Un fusil, le casque de Guignol (Joker) « Born to kill » et un hélicoptère de l’armée américaine version modèle réduit agrémentent la salle consacrée au film.

Enfin, vous arrivez dans la salle consacrée à Eyes Wide Shut, adapté de La Nouvelle rêvée d’Arthur Schnitzler. Vous serez sans aucun doute impressionné par la magnifique collection de masques vénitiens utilisés dans le film et le costume porté par Tom Cruise. L’exposition continue et dévoile une collection de photographies professionnelles prises par Kubrick. La collection d’appareils photo et d’objectifs rappelle que la première passion du cinéaste était la photographie. Enfin, l’exposition se termine sur les projets inachevé. Aryan Papers, un projet bien avancé a été annulé suite à la sortie de la Liste de Schindler de Steven Spielberg. Plus tard, le cinéaste laissera le projet A.I Steven Spielberg. Enfin, Napoléon, le plus grand film jamais réalisé, comme l’indique le livre récemment publié chez Taschen occupe une place importante. La bibliothèque personnelle et uniquement consacrée à l’empereur montre à quel point Kubrick avait poussé ses recherches. Il avait même demandé à des étudiants de faire des fiches de lecture sur des livres, dans toutes les langues, consacrés à Napoléon et à son époque. Le projet était si avancé que vous trouverez une lettre d’Audrey Hepburn, pourtant flattée, refusant le rôle de Joséphine. Se terminant sur des projets inachevés, une certaine émotion se dégage nous rappelant à quel point Kubrick manque au monde du cinéma.


Masques vénitiens pour Eyes Wide Shut

L’exposition ne se contente donc pas d’accumuler les objets de ce génie du septième art. L’on sent que Christiane Kubrick et Jan Harlan ont vraiment mis tout leur cœur pour nous proposer ce voyage à travers l’œuvre du regretté cinéaste et sont ainsi parvenus à créer une ambiance spécifique pour chaque salle consacrée à un film. Un soin particulier a été accordé à la pédagogie. En effet, l’exposition s’adresse aussi bien aux cinéphiles férus de l’œuvre de Kubrick qu’aux amateurs de cinéma connaissant de près ou de loin l’œuvre du cinéaste. Les panneaux explicatifs sont généralement courts et intéressants, les vidéos issues de Stanley Kubrick : A Life in pictures sont agréables à regarder et contiennent de très nombreuses informations, et les objets agrémentent l’exposition donnant un véritable plaisir aux yeux du spectateur. Vous trouverez d’ailleurs l’oscar des meilleurs effets visuels pour le film 2001, l’odyssée de l’espace reçu en 1968 et le Lion d’or (Festival de Venise) reçu en 1997 pour l’ensemble de son œuvre, prix prestigieux. L’exposition n’oublie pas que Stanley Kubrick était aussi un homme qui aimait la photographie et les échecs. Vous trouverez d’ailleurs son fameux échiquier.

Erin

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