Deuxième Âge d’Or du Cinéma Japonais 1950-1959

Cet âge d’or des années 1950, qui voit la création de la Toei en 1951 et la reformation de la Nikkatsu e 1953, va voir l’émergence et la confirmation de nombreux cinéastes ainsi que le début d’une reconnaissance internationale. Rashômon de Kurosawa, jidaigeki expérimental, avec une narration à multiple point de vue et une réflexion sur la relativité de la vérité est consacré à Venise en recevant un Lion d’or en 1951 puis l’Oscar du meilleur film étranger. Mizoguchi est récompensé trois années de suite à Venise pour La Vie d’Oharu femme galante, Les Amants crucifiés et L’intendant Sansho, Des œuvres qui influenceront la future Nouvelle Vague française. La porte de l’enfer remporte la palme d’or à Cannes en 1953, Kurosawa le Lion d’argent à Venise pour Les Sept samouraïs en 1954 et Ingaki Hiroshi avec Toshiro Mifune en vedette reçut un oscar du meilleur film étranger avec Miyamoto Musashi dont la trilogie est surnommée « le Autant en emporte le vent japonais ».

Toshiro Mifune
Toshiro Mifune dans Rashômon

I. Films Japonais Indépendants

La nouvelle compagnie Kindai Eigo produit le premier film indépendant japonais en 1951 avec Nous sommes vivants de Tadashi Imai qui tourna dans les rues de Tokyo autour de la grande gare située dans les quartiers populaires avec une caméra souvent cachée. Le réalisme du film étant toutefois tempéré, Imai engageant un décorateur et des acteurs de théâtre connus. Plusieurs réalisateurs indépendants formeront la nouvelle vague japonaise, voir l’article sur la nouvelle vague dessous.

II. Le Réalisme et Ozu

A la fin des années 1940, on vit l’apparition de nouveaux talents et débuta une période où les films se mirent à refléter les dures réalités de l’existence d’après-guerre. Pour la première fois, la majorité du public japonais acceptait et encourageait des films qui les montraient tels qu’ils étaient vraiment, plutôt que comme on leur ordonnait ou comme ils rêvaient de l’être. Un nouveau genre de réalisme fit son apparition. Dans L’Ange ivre de Kurosawa ( 1948 ) le décor bombardé ressemble aux secteurs dévastés de Tokyo, les rues sombres d’Osaka en ruine dans Femmes de la nuit de Mizoguchi ( 1948 ) étaient similaires à celles entourant les cinémas où le film fut projeté et les chambres dans Récit d’un propriétaire de Ozu ( 1947 ) étaient la réplique exacte des logements des spectateurs. « Peut-être en raison du fait que le réalisme se sent mais ne s’interprète pas, les réalisateurs japonais se livrèrent à peu d’expériences naturalistes, et se mirent plutôt à la recherche de moyens d’infuser une signification plus profonde au réalisme. » Dans leurs façons de mélanger la tradition et le modernisme, Ozu et Mikio Naruse permirent à leur réalisme de garder son parfum exclusivement japonais. De 1948 avec Une poule dans le vent à 1962 avec Goût du saké, Ozu travailla avec la même équipe et les mêmes acteurs, Setsuko Hara, Chishu Ryu, Kinuyo Tanaka ou Haruko Sugimura. L’écriture du scénario commençait toujours par l’invention des dialogues, avant même les lieux et les personnages. Les personnages étaient la famille japonaise. C’est la singulière similitude de ses personnages avec les complexités de la vie qui attirait Ozu.

Yasujiro Ozu
Yasujiro Ozu

« Dans Printemps tardifs ( 1949 ), l’intérêt réside dans la relation muette entre père et fille, dans Fin d’automne ( 1960 ), la même relation est transposée entre mère et fille, dans Le Goût du saké, il se focalise à nouveau sur le rapport père et fille et dans Voyage à Tokyo ( 1953 ) il examine les rapports entre générations, un thème qui refait surface dans Fleurs d’équinoxe ( 1958 ). » Ozu n’utilisa que deux cameramen au cours de sa carrière, ce qui lui permit de créer une œuvre cohérente en contrôlant l’aspect visuel de ses films. Le sens qu’avait Ozu de la composition demeura souverain tout au long de sa carrière. « Chambres vides, paysages inhabités, objets ( roches, arbres, bouteilles de bière, bouilloires à thé ), textures ( ombres sur une cloison de papier shoji, grain du tatami ), tous jouent un rôle important dans les films tardifs d’Ozu, et la simplicité étudiée du regard renvoie à une même simplicité dans la composition. »

Voyage à Tokyo
Voyage à Tokyo de Yasujiro Ozu

Tadao Sato a ainsi comparé Ozu et Naruse : « L’attitude de Naruse est d’observer librement ses personnages comme si c’étaient des étrangers, lui-même venant de l’extérieur, tandis qu’Ozu limite son attitude par le fait de rencontrer les siens [de personnages] comme s’il était à la fois une connaissance et un hôte. Voilà pourquoi le cadre d’observation d’Ozu est si remarquablement étroit. » Le lien familial des films de Naruse est si fort qu’aucun membre de la famille ne peut s’en libérer. Naruse suggère que ses personnages ont raison de lutter contre la tradition même si c’est en vain. Pour Naruse, le relatif optimisme d’Ozu est impossible. Dans Nuages flottants ( 1955 ) l’héroïne se bat contre le désespoir d’une vie d’après-guerre minée par la pauvreté et obtient une forme de reconnaissance seulement quand elle meurt. Bien que le bonheur soit impossible, le contentement peut encore être atteint comme dans Au gré du courant où les femmes continuent de vivre comme elle l’ont toujours fait en espérant un futur heureux. En vieillissant Naruse se rapprocha d’Ozu, sa vision devenant plus traditionnelle.

Mikio Naruse
Mikio Naruse

III. Les Petites Gens

A la fin des années 1940, tous les films japonais parlaient des « petites gens », tout le monde était pauvre. Tout le cinéma japonais devint du shomingeki dont le retour aurait été lancé par le film Le Repas de Mikio Naruse, basé sur le roman de Fumiko Hayashi parlant d’une pauvre travailleur en col blanc et de sa femme qui réalisent que comme eux de nombreuses autres personnes n’arrivent pas à faire face à la situation. Le film comme d’autres de son époque mettaient à profit les techniques américaines comme le montage rapide, les très gros plans et les mouvements de caméra expressifs. Heinosuke Gosho « usa de ce nouveau langage » et réalisa un des films les plus populaires du nouveau shomingeki avec Là d’où l’on voit les cheminées en 1953 dont le scénario structuré en épisode fut écrit par Hideo Oguni, « l’humaniste » de l’équipe des scénaristes d’Akira Kurosawa, d’après un roman de Rinzo Shiina. Le talent de mêler les genres de Gosho est à son apogée, le film pouvant être vu comme une comédie, une romance ou une tragédie.

IV. Les Films de Monstres

Après des turbulences dues à des conflits syndicaux, la TOHO va exploiter de nombreux filons commerciaux dont les kaiju-eigas ou films de monstres dont le premier et le plus mythique est Godzilla d’Ishiro Honda en 1954. Ishiro Honda deviendra un spécialiste du genre avec Rodan, Prisonnière des Martiens, Baran, le monstre géant, Mothra, King Kong contre Godzilla etc. Il est le précurseur du genre tokusatsu, signifiant effets spéciaux, qui sont des séries télévisées japonaises riches en effets spéciaux. Les kaiju eiga, bête étrange, sont réalisés dans le contexte post Hiroshima. Parmi les créatures les plus connues, on retrouve Godzilla, Gamera, Mothra, Rodan, Guidorah, Ebirah, Yonggary et King Kong.

Godzilla
Godzilla de Ishiro Honda

V. Films d’Epoque et Mizoguchi

Mizoguchi disait un jour à Hiroshi Shimizu : « je dépeins l’extraordinaire d’une façon réaliste. Ozu dépeint l’ordinaire d’une façon réaliste, ce qui est encore plus difficile ». Dans ses films d’après-guerre on retrouve les valeurs traditionnelles comme l’affirmation du foyer, et la défense de l’individu comme la critique des valeurs anciennes. Dans ses derniers films, Mizoguchi traite d’un aspect unique, son thème majeur, les femmes, leur position sociale, la différence entre elles et les hommes et les rapports complexes qu’elles entretiennent avec l’amour. « Les Contes de la lune vague après la pluie ( 1953 ) constituent une parfaite présentation de ce thème. » Un postier durant les guerres civiles du XVIe siècle quitte sa femme et son fils pour aller vendre sa production en ville. En ville une belle dame le séduit et l’entraine chez elle. Au matin, il se réveille seul, la jeune femme était un fantôme. Lorsqu’il regagne son foyer il retrouve sa femme, mais s’aperçoit que celle-ci morte entre-temps est devenue un esprit. Les feux femmes pourtant opposées sont égales, équivalentes et c’est ce parallèle qui intéressait Mizoguchi. « Certains de ses films incluent les deux pôles de l’attitude richement ambivalente de Mizoguchi concernant le traditionnel, d’autres insistent sur un seul de ces deux extrêmes. Dans La vie d’Oharu, femme galante ( 1952 ), l’héroïne, dame de cour, devient une prostituée. La responsabilité de cette descente aux enfers est mise sur le dos des institutions féodales. »

Les Contes de la lune vague après la pluie
Les Contes de la lune vague après la pluie de Kenji Mizoguchi

L’intérêt pour le traditionnel de Mizoguchi après la guerre l’a entraîné à réaliser des jidaigeki, lui qui en réalisant peu avant la guerre. Il reconnut n’avoir fait des films historiques dans les années 30 que sous la contrainte des autorités. Une fois l’occupation terminée, il s’intéressa au genre historique car celui-ci était usé suite à la mort de Sadao Yamanaka et Mansaku Itami. Kurosawa affirma que Mizoguchi était le metteur en scène japonais qu’il admirait et respectait le plus et qu’il aimait ses films d’époque. Il a créé le style du jidaigeki d’après-guerre.

La vie d'Oharu, femme galante
La vie d’Oharu, femme galante de Kenji Mizoguchi

VI. Comédie Sociale et Film Social

Avec la fin de l’occupation du Japon, de nouveaux moyens d’expression en quête de la vérité apparurent. Certains jeunes apprirent le métier dans des cinémas projetant des occidentaux, ils apprirent les codes d’Hollywood en regardant les films étrangers. De nouveaux sujets et attitudes apparurent avec l’occupation et de ce fait des nouveaux genres ou des genres anciens vus de façon nouvelle. Les genres nouveaux qu’étaient la comédie ou le film social entrainèrent la renaissance du mouvement jun-bungaku qui « s’il avait aidé à prévenir les effets de la censure d’avant-guerre, il offrait à présent dans le Japon d’après-guerre un moyen de contrer le commercialisme d’un grand nombre de film de cette époque, lesquels se préoccupaient surtout de capturer sur pellicule le premier baiser ou la nouvelle sensation du boggie-woogie. » « La pure littérature » proposait au cinéma des perspectives plus intéressantes que la fiction commerciale comme le disait Heinosuke Gosho. » Avec Shiro Toyoda, ils intéressaient les studios leur faisant comprendre que le public ayant lu le livre irait voir le film. Déjà avant la guerre, Gosho avait adopté un classique de la littérature japonaise classique avec Ceux qui veulent vivre ( 1934 ) adapté du roman de Yuzo Yamamoto. Après la guerre, il mit à l’écran plusieurs remarquables romans : Encore une fois de Yun Takami ( 1947 ), Croissance de Ichiyo Higueki ( 1955 ), Lucioles de Sakunosuke Oda ( 1958 ) et Fusil de chasse de Yasushi Inoue ( 1961 ). Les méthodes d’adaptation de Gosho ressemblaient aux livres, ses films commencent parfois comme les livres, il change de point de vue au cours du film comme le ferait un romancier dans Là d’où l’on voit les cheminées, la voie off du début n’est pas la même que celle de l’apogée du film, il prend un autre protagoniste comme référence. « En équilibrant avec soin la tendresse, la cruauté, le comique et le pitoyable, Gosho orchestre les réactions du public d’une manière qui le place dans la tradition des grands conteurs et romanciers. Il nous montre des objets et laisse le contenu émotionnel de chacun d’eux parler pour lui-même. Le conflit d’émotions qui en résulte bannit toute trace de sentimentalisme. » Shiro Toyoda a offert de nouvelles méthodes au genre. Un critique disait « Toyoda souscrivait aux principes et aux pratiques de la narration représentationnelle, et pourtant ses […] descriptions littéraires sont un tremplin pour des expériences très éloignées de celles de la phrase imprimées. » Dans Les Oies sauvages ( 1953 ) il remplace souvent les descriptions écrites par les moyens cinématographiques, ainsi il cadre le visage de l’héroïne qui observe des oies sauvages, y trouvant de l’espoir. Le spectateur peut ainsi compléter lui-même le récit. Toyoda transforme les mots écrits en des images émouvantes.

Les Oies sauvages
Les Oies sauvages de Shiro Toyoda

Représentatif de son époque, Rashômon de Kurosawa ( 1950 ) est inspiré de deux récits de Ryunosuke Akutagawa, le film raconte l’histoire d’un mari et de sa femme attaqués par un bandit. Durant son procès, les protagonistes donnent leur version de l’incident, mais elles sont si contradictoires que les magistrats, tout comme les spectateurs, sont incapables de se prononcer sur ce qui s’est réellement passé. Un bûcheron, le seul témoin, le plus fiable, fournit sa propre version, en un récit qui encadre le reste. Kurosawa expliquait « les êtres humains sont incapables d’être honnêtes avec eux-mêmes sur ce qui les concerne […]. Même le fantôme du personnage mort, quand il parle aux vivants par le truchement d’un médium, ne peut pas non plus renoncer à mentir. L’égoïsme est une faute que l’être humain porte avec lui depuis sa naissance […]. Le film est comme un étrange peinture sur rouleau que l’égo humain a déroulée et qu’il exhibe. Vous dites que vous ne comprenez rien à ce scénario, mais c’est le cœur humain, lui-même, qui reste incompréhensible. » L’histoire originale portait sur la relativité de la vérité, mais le film de Kurosawa parle du genre de vérité relative que seul le cinéma peut offrir. Le film est littéralement une recréation de la nouvelle d’Akutogawa. Chacune des versions est si réaliste qu’elle met en doute les autres. Le film montre l’opposition entre la réalité représentée et réalité »réelle ». La comédie apparut bien que quelques comédies sociales furent tournés avant guerre, et permit elle aussi d’exprimer un point de vue individuel. La nouveauté de ce genre comique était dans l’irrévérence individualiste, la satire. La satire incluait des gens de n’importe quel milieu, faisant tomber toutes les barrières sociales. Un film de Yutaka Abe daté de 1926 eu droit à des remakes : La Femme qui a touché les jambes réalisé par Kon Ichikawa en 1952 et La Femme qui touchait les jambes réalisé par Yasuzo Masumura en 1960. L’élément grotesque résidait dans les types caricaturaux que la protagoniste, une femme pickpocket, rencontrait : innocents aux yeux écarquillés, policiers maladroits, ménagères zélées, bureaucrates vieillots. Contrairement au film d’Abe où l’intrigue se situait dans une station thermale avec pour protagonistes la classe moyenne supérieure, les deux films d’Ichikawa et de Masumura se déroulent das le milieu des cheminots et des bateliers, milieu au potentiel comique au sein des rapports sociaux. Torajiro Lato alla plus loin dans la satire en tournant Le Chapeau de l’Empereur en 1950. Avant la guerre, le film aurait été jugé politiquement criminel au Japon, un homme vole le chapeau de l’Empereur de son présentoir dans le musée où il travaille et obtient grâce à celui-ci un travail d’homme-sandwich pour une mercerie. Le film de Kon Ichikawa, Un Milliardaire ( 1954 ) fut encore plus controversé. Une des protagonistes défend le slogan « Des bombes atomiques pour la paix mondiale » alors qu’elle construit « un de ces pacifiques engins ». Un autre cinéaste japonais réalisa de nombreuses satires, Keisuke Kinoshita. Il « égratignait » la police nationale dans son premier film, Le Port en fleurs. Il réalisa une satire sur une histoire d’amour entre un voyou et une fille d’aristocrate ruinée. Le Tambour brisé attaquait le père japonais. Ses meilleures satires sont : Carmen revient au pays ( 1951 ), premier film japonais en couleur, où Carmen, une stripteaseuse, revient à son village natal et dont les façons contemporaines embarrassent et effraient les campagnards et Un Amour pur de Carmen ( 1952 ) où la stripteaseuse à présent symbolisait le Japon et où la satire visait toutes sortes de types d’après-guerre : le réactionnaire féodal et l’ultra-américanisé. Ce dernier influencé par René Clair dont Kinoshita est un admirateur. Abandonnant la satire, Kinoshita s’intéressa à un style cinématographique plus conservateur, il réalisa Comme une fleur des champs en 1955 d’après un roman de Sachio Ito où un vieil homme se remémore son premier amour, « ses souvenirs sont dépeints dans le style des daguerréotypes de l’époque Meiji. » Dans Chronique d’un couple avec joie et tristesse ( 1957 ), il célèbre la vie d’un couple de gardiens de phare. « La morale du film est que vivre dans des lieux relativement inconfortables et faire son devoir est récompensé par les joies et par les tristesses. » Comme le vieux couple du Voyage à Tokyo d’Ozu, ils ont fait « mieux que la plupart des gens ». Le film le plus populaire de Kinoshita, Vingt-quatre prunelles raconte la vie d’une institutrice face à l’inhumanité de l’oppression en temps de guerre. On est face à un plaidoyer pacifiste, la guerre est terrible et inhumaine, et cause d’innombrables souffrances, mais comme le faisait le shimpa, le film trouve la vertu dans l’adversité. Les spectateurs du monde entier auront été réduits en larmes face à ce film.

Keisuke Kinoshita
Keisuke Kinoshita

Ce nouveau genre, ce film social sera appelé shakai-mono. La critique sociale existait depuis longtemps mais ils l’étaient par assez nombreux pour former un genre à part entière. Des réalisateurs ayant tourné des keiko-eiga explorèrent ce nouveau genre comme Fumio Kamei et Hideo Schikawa ainsi que d’autres cinéastes engagés socialement comme Tadashi Imai, Satsuo Yamamoto et Kaneto Shindo. Le thème principal des films de Satsuo Yamamoto est la lutte des classes, la lutte entre la classe dirigeante et la classe ouvrière. Dans Quartier sans soleil, il raconte une grève prolongée dans une imprimerie. Imai est moins motivé politiquement, il disait que ses films étaient centrés sur les tragédies humaines, celles qui sont créées par le poids de la guerre, de la pauvreté et de l’oppression. Ces thèmes sont similaires à ceux de Kinoshita, ce qui explique l’admiration d’Imai pour ce dernier. Toutefois les films d’Imai font preuve d’une orientation plus politique que ceux de Kinoshita. Max Tessier dira : « Si les options d’Imai le conduisent parfois à préférer la propagande à l’art ainsi qu’à la valeur d’enseignement d’un simple énoncé factuel, en revanche son humanisme sincère le préserve toujours ds dangereuses tentations du dogmatisme ». Jusqu’à notre prochaine rencontre ( 1950 ) montre deux jeunes amants opprimés et détruits par la guerre. La Tour des lys raconte la mort de plusieurs infirmières militaires durant l’invasion américaine d’Okinawa, ce film « dénigre comme responsable de la tragédie le fatalisme traditionnel japonais, à cause duquel ces filles avaient été, en réalité, entraînées à mourir. » Ce film est un des exemples de ce que les critiques appelèrent le réalisme nakanori ( « sans larmes » ) d’Imai. Ichikawa et Wada, mari et femme, réalisèrent de nombreux films ensemble. Ils s’intéressaient tous deux aux « problèmes sociaux » et trouvèrent un sujet dans l’apparition de problèmes, tels que ceux des jeunes « rebelles », après la guerre. Dans La Chambre de punition, adapté du roman de Shintaro Ishihara, ils parlent des jeunes agités. Un nouveau genre, le taiyozoku, venant des romans de Ishihara, attira l’attention du public sur l’excentricité des jeunes. En 1959 Ichikawa tourna Feux dans la plaine, évoquant les derniers jours d’un bataillon japonais aux Philippines après la défaite. Jamais les responsables de la tragédie n’avaient été accusés avec une telle violence. Chez Ichikawa et Wada, la morale est contrebalancée par l’esthétisme ainsi dans Le Serment rompu, Ichikawa, qui dénonce la discrimination dont est victime la classe des parias, enchaine des scènes mornes devant des panoramas d’une rare beauté. Ichikawa a réalisé aussi des documentaires sur le base-ball, Kyoto et l’exposition universelle d’Osaka etc. Le meilleur film d’Ichikawa, Le Pavillon d’or, sur un scénario de Natto Wada, raconte l’histoire d’un moine qui incendia et détruisit le fameux Kinkakuji de Kyoto. La photographie est superbe, « son talent lui permet de créer des images de la plus haute qualité, qui échappent aisément au réalisme et aboutissent à des films d’un niveau supérieur ». Dans L’Étrange obsession ( 1959 ) Ichikawa associe la beauté à son contraire, il assimile l’amour à une maladie.

Kon Ichikawa
Kon Ichikawa

VII. Le Nouveau Film Social et Kurosawa

Le genre du shakai-mono fut le territoire de prédilection d’Akira Kurosawa. Il réalisé 31 films qui d’une manière ou d’une autre parlaient des problèmes sociaux. Il reflétait et interprétait la société à laquelle il appartenait. Dans Les Salauds dorment en paix ( 1960 ), Kurosawa montre la corruption dans les affaires et sous-entend que le pouvoir absolu corrompt absolument. L’individu lui-même doit assumer sa responsabilité, ce thème est commun à toutes les œuvres majeures de Kurosawa. Dans La Légende du grand judo, le héros apprend à répondre de ses propres actes, dans Barberousse ( 1965 ) Akahige enseigne la responsabilité médicale à son jeune interne.

Les Salauds dorment en paix
Les Salauds dorment en paix de Akira Kurosawa

En 1952, Kurosawa réalise un exposé inoubliable sur la responsabilité personnelle et les malheurs du monde avec Vivre dont le rôle principale est joué par Takashi Shimura, film consacré à la mort. Nous sommes plus émus par la bonté du héros, un fonctionnaire condamné demandant la construction d’un parc pour les enfants, que par les défauts de la société. A la veillée funéraire, il est dit que nous sommes ce que sont nos actes.

Vivre
Vivre de Akira Kurosawa

Dans Les Sept Samouraïs ( 1954 ), même si l’historie se déroule dans le passé, le film nous parle du présent. Tout en critiquant les valeurs actuelles, il insiste sur le fait qu’elles sont toutes humaines. « Le film est un appel à la solidarité entre les hommes, mais il suggère par la même occasion que cela a toujours été, et sera toujours, impossible. Voilà le thème que le réalisateur appela souvent sa vérité désagréable ». Se rappeler avoir vu ce film, c’est se rappeler des centaines d’images. « Le style du Kurosawa de la maturité, lequel crée son propre réalisme, est mis au service d’une moralité tout aussi réaliste mais personnelle. » L’héroïsme, la dignité, la vertu ne l’intéressent pas, ses films sont à cent lieues du film historique ordinaire. Même ses œuvres utilisant la chambara telle que La Forteresse cachée ( 1958 ) ne sont pas réalisées dans le style héroïque, le général joué par Toshiro Mifune est aussi méchant que les méchants. Il n’y a pas non plus de vrais héros dans Yojimbo ( 1961 ) et dans Sanjuro ( 1962 ), Toshiro Mifune n’est héroïque dans aucun des deux.

Les Sept Samouraïs
Les Sept Samouraïs de Akira Kurosawa

« Transposant le Macbeth de Shakespeare dans le Moyen Age japonais avec Le Château de l’araignée, Kurosawa réalisa un film absolument inclassable ». Kurosawa se posait des question sur ses films : « Pourquoi les êtres humaines ne sont-ils pas heureux ? ». Le Château de l’araignée montre la raison de leur malheur.

Akira Kurosawa
Akira Kurosawa

VIII. La nouvelle vague

Le Japon comme le monde entier connu au cours des années soixante divers mouvement dont l’un des principaux fut initié par la jeunesse. Le cinéma indépendant prit plus d’importance : Susumu Hani se tenait complètement à l’écart des studios, ses méthodes étaient différentes. Il réalisa son premier long métrage en 1961 avec Les Mauvais garçons, mêlant documentaire et fiction dans un centre de redressement. Au fur et à mesure du tournage, les acteurs ne prêtaient plus d’attention à la caméra. Il tourna un autre film sur la jeunesse avec Une vie bien remplie et explore les femmes avec Elle et lui en 1963. Dans ce dernier comme pour le premier film, Hanni et son scénariste Shimizu travaillèrent sans scénario, ils écrivaient les dialogues au fur et à mesure du tournage et chaque scène s’apparente à un fragment de documentaire. Tout comme Hani, Hiroshi Teshigahara étaient indépendant, il se tourna vers le cinéma expérimental avant de financer lui-même son premier long métrage en 1962, Le Traquenard. En 1964 il réalisa La Femme des sables, une parabole écrite par Kobo Abe. Le film parle de la quête et de la découverte de l’identité. Ses films frappent par leur aspect quasi documentaire. La Shochiku accorda elle aussi plus d’autonomie à ses réalisateurs, elle encouragea un certain nombre d’assistant réalisateurs comme Nagisa Oshima, Kiju Yoshida et Masahiro Shinoda. « Ce groupe fut le noyau d’un mouvement plus tard baptisé par les médias nuberu bagu ( nouvelle vague ) » en référence à la nouvelle vague française. Nagisa Oshima réalisa son premier film à seulement 27 ans, après avoir été promu réalisateur dans le cadre de la « politique de nouvelle vague » destinée à produire des films pleins de fraîcheur et de liberté. Une ville d’amour et d’espoir, son premier film réalisé en 1959 connu un succès suffisant pour lui permettre de réaliser l’année suivante un second film avec Contes cruels de la jeunesse qui reprend le thème de la jeunesse en révolte contre la morale établie, le film fut un véritable succès. Ces succès, poussèrent Shiro Kido, son directeur, a propulsé deux autres cinéastes : Masahiro Shinoda et Kiju Yoshida. La nouvelle vague japonaise, à l’instar de la Nouvelle vague française s’attaquait aux problèmes politiques par le biais du cinéma. Ces années 1960 voient les prémisses d’une explosion du film de genre violent. Pour attirer un jeune public et principalement masculin, il faut plus de violence. Cette tendance se traduit par une résurgence massive du film de yakuza.

TitCalimero

Source :
*Atlas du cinéma de André Z. Labarrère, édition La Pochotèque 2002
*Le cinéma japonais de Donald Richie, édition du Rocher 2005
*cinéclub de caen
*cinémanageria
*cinemasie
*fluctuat.net