Deuxième Âge d’Or du Cinéma Japonais 1950-1959
Cet âge d’or des années 1950, qui voit la création de la Toei en 1951 et la reformation de la Nikkatsu e 1953, va voir l’émergence et la confirmation de nombreux cinéastes ainsi que le début d’une reconnaissance internationale. Rashômon de Kurosawa, jidaigeki expérimental, avec une narration à multiple point de vue et une réflexion sur la relativité de la vérité est consacré à Venise en recevant un Lion d’or en 1951 puis l’Oscar du meilleur film étranger. Mizoguchi est récompensé trois années de suite à Venise pour La Vie d’Oharu femme galante, Les Amants crucifiés et L’intendant Sansho, Des œuvres qui influenceront la future Nouvelle Vague française. La porte de l’enfer remporte la palme d’or à Cannes en 1953, Kurosawa le Lion d’argent à Venise pour Les Sept samouraïs en 1954 et Ingaki Hiroshi avec Toshiro Mifune en vedette reçut un oscar du meilleur film étranger avec Miyamoto Musashi dont la trilogie est surnommée « le Autant en emporte le vent japonais ».
Toshiro Mifune dans Rashômon
I. Films Japonais Indépendants
La nouvelle compagnie Kindai Eigo produit le premier film indépendant japonais en 1951 avec Nous sommes vivants de Tadashi Imai qui tourna dans les rues de Tokyo autour de la grande gare située dans les quartiers populaires avec une caméra souvent cachée. Le réalisme du film étant toutefois tempéré, Imai engageant un décorateur et des acteurs de théâtre connus. Plusieurs réalisateurs indépendants formeront la nouvelle vague japonaise, voir l’article sur la nouvelle vague dessous.II. Le Réalisme et Ozu
A la fin des années 1940, on vit l’apparition de nouveaux talents et débuta une période où les films se mirent à refléter les dures réalités de l’existence d’après-guerre. Pour la première fois, la majorité du public japonais acceptait et encourageait des films qui les montraient tels qu’ils étaient vraiment, plutôt que comme on leur ordonnait ou comme ils rêvaient de l’être. Un nouveau genre de réalisme fit son apparition. Dans L’Ange ivre de Kurosawa ( 1948 ) le décor bombardé ressemble aux secteurs dévastés de Tokyo, les rues sombres d’Osaka en ruine dans Femmes de la nuit de Mizoguchi ( 1948 ) étaient similaires à celles entourant les cinémas où le film fut projeté et les chambres dans Récit d’un propriétaire de Ozu ( 1947 ) étaient la réplique exacte des logements des spectateurs. « Peut-être en raison du fait que le réalisme se sent mais ne s’interprète pas, les réalisateurs japonais se livrèrent à peu d’expériences naturalistes, et se mirent plutôt à la recherche de moyens d’infuser une signification plus profonde au réalisme. » Dans leurs façons de mélanger la tradition et le modernisme, Ozu et Mikio Naruse permirent à leur réalisme de garder son parfum exclusivement japonais. De 1948 avec Une poule dans le vent à 1962 avec Goût du saké, Ozu travailla avec la même équipe et les mêmes acteurs, Setsuko Hara, Chishu Ryu, Kinuyo Tanaka ou Haruko Sugimura. L’écriture du scénario commençait toujours par l’invention des dialogues, avant même les lieux et les personnages. Les personnages étaient la famille japonaise. C’est la singulière similitude de ses personnages avec les complexités de la vie qui attirait Ozu.
Yasujiro Ozu
Voyage à Tokyo de Yasujiro Ozu
Mikio Naruse
III. Les Petites Gens
A la fin des années 1940, tous les films japonais parlaient des « petites gens », tout le monde était pauvre. Tout le cinéma japonais devint du shomingeki dont le retour aurait été lancé par le film Le Repas de Mikio Naruse, basé sur le roman de Fumiko Hayashi parlant d’une pauvre travailleur en col blanc et de sa femme qui réalisent que comme eux de nombreuses autres personnes n’arrivent pas à faire face à la situation. Le film comme d’autres de son époque mettaient à profit les techniques américaines comme le montage rapide, les très gros plans et les mouvements de caméra expressifs. Heinosuke Gosho « usa de ce nouveau langage » et réalisa un des films les plus populaires du nouveau shomingeki avec Là d’où l’on voit les cheminées en 1953 dont le scénario structuré en épisode fut écrit par Hideo Oguni, « l’humaniste » de l’équipe des scénaristes d’Akira Kurosawa, d’après un roman de Rinzo Shiina. Le talent de mêler les genres de Gosho est à son apogée, le film pouvant être vu comme une comédie, une romance ou une tragédie.IV. Les Films de Monstres
Après des turbulences dues à des conflits syndicaux, la TOHO va exploiter de nombreux filons commerciaux dont les kaiju-eigas ou films de monstres dont le premier et le plus mythique est Godzilla d’Ishiro Honda en 1954. Ishiro Honda deviendra un spécialiste du genre avec Rodan, Prisonnière des Martiens, Baran, le monstre géant, Mothra, King Kong contre Godzilla etc. Il est le précurseur du genre tokusatsu, signifiant effets spéciaux, qui sont des séries télévisées japonaises riches en effets spéciaux. Les kaiju eiga, bête étrange, sont réalisés dans le contexte post Hiroshima. Parmi les créatures les plus connues, on retrouve Godzilla, Gamera, Mothra, Rodan, Guidorah, Ebirah, Yonggary et King Kong.
Godzilla de Ishiro Honda
V. Films d’Epoque et Mizoguchi
Mizoguchi disait un jour à Hiroshi Shimizu : « je dépeins l’extraordinaire d’une façon réaliste. Ozu dépeint l’ordinaire d’une façon réaliste, ce qui est encore plus difficile ». Dans ses films d’après-guerre on retrouve les valeurs traditionnelles comme l’affirmation du foyer, et la défense de l’individu comme la critique des valeurs anciennes. Dans ses derniers films, Mizoguchi traite d’un aspect unique, son thème majeur, les femmes, leur position sociale, la différence entre elles et les hommes et les rapports complexes qu’elles entretiennent avec l’amour. « Les Contes de la lune vague après la pluie ( 1953 ) constituent une parfaite présentation de ce thème. » Un postier durant les guerres civiles du XVIe siècle quitte sa femme et son fils pour aller vendre sa production en ville. En ville une belle dame le séduit et l’entraine chez elle. Au matin, il se réveille seul, la jeune femme était un fantôme. Lorsqu’il regagne son foyer il retrouve sa femme, mais s’aperçoit que celle-ci morte entre-temps est devenue un esprit. Les feux femmes pourtant opposées sont égales, équivalentes et c’est ce parallèle qui intéressait Mizoguchi. « Certains de ses films incluent les deux pôles de l’attitude richement ambivalente de Mizoguchi concernant le traditionnel, d’autres insistent sur un seul de ces deux extrêmes. Dans La vie d’Oharu, femme galante ( 1952 ), l’héroïne, dame de cour, devient une prostituée. La responsabilité de cette descente aux enfers est mise sur le dos des institutions féodales. »
Les Contes de la lune vague après la pluie de Kenji Mizoguchi
La vie d’Oharu, femme galante de Kenji Mizoguchi
VI. Comédie Sociale et Film Social
Avec la fin de l’occupation du Japon, de nouveaux moyens d’expression en quête de la vérité apparurent. Certains jeunes apprirent le métier dans des cinémas projetant des occidentaux, ils apprirent les codes d’Hollywood en regardant les films étrangers. De nouveaux sujets et attitudes apparurent avec l’occupation et de ce fait des nouveaux genres ou des genres anciens vus de façon nouvelle. Les genres nouveaux qu’étaient la comédie ou le film social entrainèrent la renaissance du mouvement jun-bungaku qui « s’il avait aidé à prévenir les effets de la censure d’avant-guerre, il offrait à présent dans le Japon d’après-guerre un moyen de contrer le commercialisme d’un grand nombre de film de cette époque, lesquels se préoccupaient surtout de capturer sur pellicule le premier baiser ou la nouvelle sensation du boggie-woogie. » « La pure littérature » proposait au cinéma des perspectives plus intéressantes que la fiction commerciale comme le disait Heinosuke Gosho. » Avec Shiro Toyoda, ils intéressaient les studios leur faisant comprendre que le public ayant lu le livre irait voir le film. Déjà avant la guerre, Gosho avait adopté un classique de la littérature japonaise classique avec Ceux qui veulent vivre ( 1934 ) adapté du roman de Yuzo Yamamoto. Après la guerre, il mit à l’écran plusieurs remarquables romans : Encore une fois de Yun Takami ( 1947 ), Croissance de Ichiyo Higueki ( 1955 ), Lucioles de Sakunosuke Oda ( 1958 ) et Fusil de chasse de Yasushi Inoue ( 1961 ). Les méthodes d’adaptation de Gosho ressemblaient aux livres, ses films commencent parfois comme les livres, il change de point de vue au cours du film comme le ferait un romancier dans Là d’où l’on voit les cheminées, la voie off du début n’est pas la même que celle de l’apogée du film, il prend un autre protagoniste comme référence. « En équilibrant avec soin la tendresse, la cruauté, le comique et le pitoyable, Gosho orchestre les réactions du public d’une manière qui le place dans la tradition des grands conteurs et romanciers. Il nous montre des objets et laisse le contenu émotionnel de chacun d’eux parler pour lui-même. Le conflit d’émotions qui en résulte bannit toute trace de sentimentalisme. » Shiro Toyoda a offert de nouvelles méthodes au genre. Un critique disait « Toyoda souscrivait aux principes et aux pratiques de la narration représentationnelle, et pourtant ses […] descriptions littéraires sont un tremplin pour des expériences très éloignées de celles de la phrase imprimées. » Dans Les Oies sauvages ( 1953 ) il remplace souvent les descriptions écrites par les moyens cinématographiques, ainsi il cadre le visage de l’héroïne qui observe des oies sauvages, y trouvant de l’espoir. Le spectateur peut ainsi compléter lui-même le récit. Toyoda transforme les mots écrits en des images émouvantes.
Les Oies sauvages de Shiro Toyoda
Keisuke Kinoshita
Kon Ichikawa
VII. Le Nouveau Film Social et Kurosawa
Le genre du shakai-mono fut le territoire de prédilection d’Akira Kurosawa. Il réalisé 31 films qui d’une manière ou d’une autre parlaient des problèmes sociaux. Il reflétait et interprétait la société à laquelle il appartenait. Dans Les Salauds dorment en paix ( 1960 ), Kurosawa montre la corruption dans les affaires et sous-entend que le pouvoir absolu corrompt absolument. L’individu lui-même doit assumer sa responsabilité, ce thème est commun à toutes les œuvres majeures de Kurosawa. Dans La Légende du grand judo, le héros apprend à répondre de ses propres actes, dans Barberousse ( 1965 ) Akahige enseigne la responsabilité médicale à son jeune interne.
Les Salauds dorment en paix de Akira Kurosawa
Vivre de Akira Kurosawa
Les Sept Samouraïs de Akira Kurosawa
Akira Kurosawa
VIII. La nouvelle vague
Le Japon comme le monde entier connu au cours des années soixante divers mouvement dont l’un des principaux fut initié par la jeunesse. Le cinéma indépendant prit plus d’importance : Susumu Hani se tenait complètement à l’écart des studios, ses méthodes étaient différentes. Il réalisa son premier long métrage en 1961 avec Les Mauvais garçons, mêlant documentaire et fiction dans un centre de redressement. Au fur et à mesure du tournage, les acteurs ne prêtaient plus d’attention à la caméra. Il tourna un autre film sur la jeunesse avec Une vie bien remplie et explore les femmes avec Elle et lui en 1963. Dans ce dernier comme pour le premier film, Hanni et son scénariste Shimizu travaillèrent sans scénario, ils écrivaient les dialogues au fur et à mesure du tournage et chaque scène s’apparente à un fragment de documentaire. Tout comme Hani, Hiroshi Teshigahara étaient indépendant, il se tourna vers le cinéma expérimental avant de financer lui-même son premier long métrage en 1962, Le Traquenard. En 1964 il réalisa La Femme des sables, une parabole écrite par Kobo Abe. Le film parle de la quête et de la découverte de l’identité. Ses films frappent par leur aspect quasi documentaire. La Shochiku accorda elle aussi plus d’autonomie à ses réalisateurs, elle encouragea un certain nombre d’assistant réalisateurs comme Nagisa Oshima, Kiju Yoshida et Masahiro Shinoda. « Ce groupe fut le noyau d’un mouvement plus tard baptisé par les médias nuberu bagu ( nouvelle vague ) » en référence à la nouvelle vague française. Nagisa Oshima réalisa son premier film à seulement 27 ans, après avoir été promu réalisateur dans le cadre de la « politique de nouvelle vague » destinée à produire des films pleins de fraîcheur et de liberté. Une ville d’amour et d’espoir, son premier film réalisé en 1959 connu un succès suffisant pour lui permettre de réaliser l’année suivante un second film avec Contes cruels de la jeunesse qui reprend le thème de la jeunesse en révolte contre la morale établie, le film fut un véritable succès. Ces succès, poussèrent Shiro Kido, son directeur, a propulsé deux autres cinéastes : Masahiro Shinoda et Kiju Yoshida. La nouvelle vague japonaise, à l’instar de la Nouvelle vague française s’attaquait aux problèmes politiques par le biais du cinéma. Ces années 1960 voient les prémisses d’une explosion du film de genre violent. Pour attirer un jeune public et principalement masculin, il faut plus de violence. Cette tendance se traduit par une résurgence massive du film de yakuza.TitCalimero
Source :*Atlas du cinéma de André Z. Labarrère, édition La Pochotèque 2002
*Le cinéma japonais de Donald Richie, édition du Rocher 2005
*cinéclub de caen
*cinémanageria
*cinemasie
*fluctuat.net