La Nouvelle Vague 1958-1962

I. Histoire

A .Les Origines de l’expression  » La Nouvelle Vague »

L’expression  » Nouvelle vague » est utilisée pour la première fois par l’Express en 1957, lorsque ce magazine rend compte d’une enquête sociologique sur les phénomènes de génération. Les articles sont repris en 1958 dans un livre : La Nouvelle Vague : portraits de la jeunesse. La Nouvelle Vague est ainsi un phénomène de génération et l’on comprend vite que le grand thème de la Nouvelle Vague sera la relève de générations. « Il s’agissait avant tout d’une relève de génération. Avant 1959, il était très difficile de faire un film, d’entrer directement dans la profession cinématographique. D’ailleurs, entre 1950 et 1960, très peu de nouveaux cinéastes étaient apparus. » Eric Rohmer Bientôt, l’expression qualifiera un groupe de cinéastes. La plupart de ces cinéastes sont des critiques de cinéma issus de la revue Cahiers du Cinéma.

B. La Consécration de la Nouvelle Vague

Le Festival de Cannes

En février et mars 1959, deux films de Claude Chabrol sortent sur les écrans . Il s’agit de Le Beau Serge et de Les Cousins. La sortie de ces deux films constitue un événement majeur concernant la Nouvelle Vague car Claude Chabrol n’a reçu aucune formation professionnelle dans le domaine cinématographique. C’est le Festival de Cannes de 1959 qui consacre véritablement la Nouvelle Vague. En effet, cette année-là, Hiroshima mon amour d’Alain Resnais et les Quatre cents coups de François Truffaut sont présentés. Les Quatre cents coups est même récompensés du prix de la meilleure mise en scène.

Affiche du 12 ème Festival de Cannes, 1959
Affiche du 12 ème Festival de Cannes, 1959

Le colloque de La Napoule

La même année, et parallèlement au festival de Cannes, Unifrance-film décide de réunir quelques jeunes cinéastes afin de montrer à la presse étrangère que la relève du cinéma français est déjà là. Cinéastes et critiques participent au colloque. De futurs illustres noms sont présents : François Truffaut, Claude Chabrol, Jean-Luc Godard, Roger Vadim, Robert Hossein, Edouard Molinaro, François Reichenbach, Edmond Séchan, Jean-Daniel Pollet, Marcel Camus, Jean Valère et Louis Félix.

C. Les changements dus à la Nouvelle Vague

Inspirés par des réalisateurs sans formation professionnelle, de nouveaux cinéastes vont se lancer dans l’aventure de la réalisation. A l’époque, l’on distingue deux tendances : certains cinéastes viennent de la critique comme Claude Chabrol, François Truffaut ou Jean Luc Godard ; d’autres viennent du court métrage comme Alain Resnais, Agnès Varda ou Jacques Demy. Dès 1948, l’Etat décrète une TSA ( Taxe Spéciale Additionnelle). Cette taxe est perçue sur les billets de cinéma et permet de développer un « fond de soutien ». En 1953, une nouvelle loi apparaît et introduit le critère de qualité. Un film jugé de qualité recevait alors une prime. En 1956, le directeur du CNC juge cette aide mauvaise. Il considère que cette aide change les créateurs en industriels et les producteurs en exportateurs. En 1957, le CNC établit un programme ayant pour but de rajeunir et de renouveler le cinéma. Ainsi, le CNC apporte son aide aux premières productions de Claude Chabrol et de François Truffaut. Mais le plus grand changement a lieu en 1959, lorsque le statut social du cinéma change enfin. En effet, en 1959, le cinéma dépend du Ministère de la Culture, qui vient alors d’être crée, et non plus du Ministère de l’Industrie. La notion de film d’auteur naît aussi à cette période et révèle bien ce désir de briser l’académisme qui entourait le cinéma jusque-là. Alexandre Astruc explique dans son article « Naissance d’une nouvelle avant-garde : la caméra stylo » publié dans l’Ecran français, que le cinéma est en train d’acquérir un nouveau statut. Il considère que le cinéma devient un nouveau moyen d’expression. Il pense que le scénariste doit réaliser son film, d’où la notion d’auteur de film. La Nouvelle Vague a permis de faire découvrir une nouvelle génération d’acteurs
  • Brigitte Bardot (absence de jeu, spontanéité, sa façon d’être)
  • Jeanne Moreau
  • Anouk Aimée
  • Christian Marquand
  • Bernadette Lafont
  • Jean-Claude Brialy
  • Giani Esposito
  • Gérard Blain
  • Jean-Paul Belmondo
  • Jean-Pierre Léaud
  • Anna Karina
  • Catherine Deneuve
  • Françoise Dorléac

D. Les Influences

Le cinéma américain influence les cinéastes de la Nouvelle Vague. Ainsi, Truffaut est passionné par l’oeuvre d’Orson Welles. Dans leur manière de réaliser, les cinéastes de la Nouvelle Vague nous rappellent le néo-réalisme italien et notamment les films de Roberto Rossellini. L’on remarque également des influences venant du film documentaire et de la télévision.

E. Déclin et mort de la Nouvelle Vague

Dès 1958, la fréquentation des salles de cinéma chute à cause de développement de la télévision. La Nouvelle Vague commence à s’essouffler dès 1960 à cause de certains échecs commerciaux . Et le phénomène médiatique ne dure que deux saisons cinématographiques. Certains films de la nouvelle génération connaissent des échecs commerciaux. Carabiniers de Jean-Luc Godard est le plus gros échec de la Nouvelle Vague. Mais c’est en 1963 que s’échoue la vague.

Hiroshima mon amour
Hiroshima mon amour d’Alain Resnais

II. Les Caractéristiques de la Nouvelle Vague

A. Les Cinéastes

  • Les jeunes cinéastes de la Nouvelle Vague ont tous une expérience critique. Ils sont également des cinéphiles connaissant bien l’histoire du cinéma. Ils ont une conception assez précise de la mise en scène.
« Nous nous considèrions tous aux Cahiers comme de futurs metteurs en scène. Fréquenter les ciné-clubs et la cinémathèque, c’était déjà penser cinéma et penser au cinéma. Ecrire, c’était déjà faire du cinéma, car, entre écrire et tourner, il y a une différence quantitative, non qualitative. Le seul critique qui l’ait été complètement, c’était André Bazin. Les autres, Sadoul, Balàzs, ou Pasinetti, sont des historiens ou des sociologues, pas des critiques. » Jean-Luc Godard, Cahiers du cinéma n°138, Décembre 1962 Les cinéastes deviennent des auteurs.

La Politique des auteurs

François Truffaut considère que l’auteur du film doit être le metteur en scène. Certains réalisateurs sont des auteurs et les autres ne le seront jamais. « Il n’y a pas d’oeuvres, il n’y a que des auteurs » explique François Truffaut. Cela signifie qu’un film d’auteur même s’il est raté est toujours plus intéressant qu’un film même réussi d’un simple réalisateur. Le regard de l’auteur se manifeste à travers la mise en scène. André Bazin affirme l »idée que «  la technique renvoie à une métaphysique« .

B. L’Esthétique

« La nouvelle vague n’avait pas un programme esthétique : elle était simplement une tentative de retrouver une certaine indépendance perdue aux alentours de 1924, lorsque les films sont devenus trop chers, un peu avant le parlant […]. À cette époque, les metteurs en scène étaient tous très jeunes, c’est ahurissant de voir que Hitchcock, Chaplin, King Vidor, Walsh, Ford, Capra ont tous fait leur premier film avant l’âge de vingt-cinq ans. C’était un métier de gamin que celui de cinéaste et ça doit l’être… » François Truffaut
  • Rupture avec le naturalisme
  • Goût pour les tournages en extérieur. L’on tourne en extérieur dans le but d’aller contre le cinéma réalisé en studio. Même les scènes tournées en intérieur, sont tournées dans des décors réels.
  • Qui dit tournage en extérieur, dit lumière naturelle. Les cinéastes de la nouvelle vague ne veulent pas utiliser une lumière artificielle. Ils utilisent donc une pellicule très sensible. (Invention de la caméra 16 mm Eclair 16, une caméra plus légère et nécessitant peu de lumière)
  • Le son est enregistré lors du tournage. (Invention du Nagra, un magnétophone portable autonome)
  • Aspect improvisé des films
 » La qualité la plus manifeste et la plus révolutionnaire des films de la nouvelle vague était leur aspect improvisé, qui devait choquer les partisans du cinéma policé de la « qualité française ». David Bordwell et Kristin Thompson, L’art du film, une introduction.
  • La caméra bouge beaucoup. Les panoramiques et les travelings sont utilisés pour suivre des personnages ou pour suivre et décrire des échanges entre des personnages dans un même lieu
  • Des acteurs non-professionnels ou de nouveaux acteurs professionnels interprètent les personnages.
  • Mise en scène de la voix
  • Les clins d’oeil aux cinéastes ou films admirés. (Alfred Hitchcock, Nicholas Ray, Vincente Minnelli et etc)

C. La Narration

  • Importance de l’écriture. Par exemple, Hiroshima mon amour de Alain Resnais est basé sur sur scénario de Marguerite Duras
  • Les personnages principaux n’ont pas d’objectif
  • Certains élements interviennent parfois sans raison
  • Changements de ton inattendus
  • Utilisation de faux raccords permettant une discontinuité narrative
  • Les fins des films sont généralement ouvertes et incertaines.

D. Les Thèmes

  • La désinvolture
  • Les arrivistes réussissent là où les idéalistes échouent (Les Cousins de Claude Chabrol)
  • L’avortement (Les Cousins de Claude Chabrol)
  • Le marivaudage, les rapports de séduction entre des intellectuels et des jolies femmes (films de Kast et de Doniol-Valcroze)
  • La libéralisation de la représentation du désir sexuel
  • Les étudiants et les vendeuses ( Claude Chabrol)
  • L’enfance (François Truffaut)

III. Critiques contre la Nouvelle Vague

Dès la naissance de la Nouvelle Vague, certains sont sceptiques et le font savoir. Pour Raoul Lévy qui a produit Et Dieu créa la femme, la Nouvelle Vague est  » une vaste plaisanterie ». Raymond Borde, Freddy Buache et Jean Curtellin redoublent de violence en publiant un pamphlet contre la Nouvelle Vague :

« Certains débutants se sont lancés dans la réalisation comme les jeunes filles faisaient jadis de l’aquarelle, pour occuper des loisirs dorés. Ceux-là disparaîtront assez vite. D’autres ont en vue une carrière et parce que l’enseignement ne payait pas ou que l’Ecole d’administration était trop difficile, ils ont pris le chemin des studios avec l’intention d’y rester. Leur petit « message », comme disent les croque-morts de la culture, ils l’ont livré tout de suite :c’était généralement une poussée de morale niaise à l’âge adulte, mêlée parfois d’une crise d’originalité libertine. Puis ils ont jeté l’ancre et les voilà, je crois bien, amarrés dans la profession. C’est le cas de Chabrol, de Truffaut, de Molinaro, de Hossein, de Malle et demain de Doniol-Valcroze. Nous n’avons pas fini de voir leur nom dans les génériques et, s’ils savent nager, ils ont devant eux l’avenir des anciens : Christian-Jaque, Joannon, Delannoy. »

Raymond Borde Nouvelle Vague 1962

De manière générale, la Nouvelle Vague est principalement attaquée par l’ancienne génération.

Lorsque la fréquentation des salles chute, c’est la Nouvelle Vague qui est pointée du doigt et accusée.

IV. La Production Sous la Nouvelle Vague

A La fin des années 1950, l’économie du cinéma français se porte plus que bien.

A. Les Petits budgets

Le film à petit budget devient une réference pour des raisons esthétiques. Car en effet, l’on remarque les plus grosses pertes d’argent sont dues aux films les moins coûteux.

B. Les Gros budgets

Les films ayant un gros budget caracolent au box-office. C’est le cas, par exemple de Napoléon de Sacha Guitry, de Les Diaboliques de Henri-Georges Clouzot. Cependant, nombreux sont ceux qui s’en prennent aux superproductions telles que Notre-Dame de Paris de Jean Delannoy. Jean-Luc Godard se compromet pourtant en réalisant Le Mépris. Ce film a un budget total de 500 millions de francs et Brigitte Bardot l’actrice principale en touche 250, soit la moitié du budget du film.

L’on distingue à cette période-là, une tendance à l’autoproduction de films, lancée par Claude Chabrol et son film Le Beau Serge.

C. Trois producteurs

L’on distingue trois principaux producteurs :

  • Pierre Braunberger
Il encourage la production des courts métrages. La plupart des films qu’il produit ont un budget moyen. Quelques grands titres : Tirez sur le Pianiste de François Truffaut ; Guernica d’ Alain Resnais.
  • Anatole Dauman
Il a crée en 1951 la socièté Argos Films, spécialisée dans la production de films sur l’art. Il a fait débuter Pierre Kast, Jean Aurel et Chris Marker. Quelques grands titres : Nuit et Brouillard d’Alain Resnais; Le Rideau cramoisi d’Alexandre Astruc, Muriel ou le temps d’un retour de Jean-Luc Godard.
  • Georges De Beauregard
Il produit les films de Jean-Luc Godard à partir de A Bout de Souffle. Grâce à lui, il devient le principal producteur de la Nouvelle Vague. Quelques grands titres : A bout de souffle de Jean-Luc Godard, Adieu Philippine de Jacques Rozier, Landru de Claude Chabrol, Suzanne Simonin de Jacques Rivette.

Les Grands films de la Nouvelle Vague

– Le Beau Serge de Claude Chabrol 1959 – Les Cousins de Claude Chabrol 1959 – Les Quatre cents coups de François Truffaut 1959 – Hiroshima mon amour de Alain Renais 1959 – Le Signe du lion d’Eric Rohmer 1959 – A bout de souffle de Jean Luc Godard 1960 – Le Petit soldat de Jean Luc Godard 1960 – Les Bonnes femmes de Claude Chabrol 1960 – Tirez sur le pianiste de François Truffaut 1960 – Paris nous appartient de Jacques Rivette 1961 – Lola de Jacques Demy 1961 – Jules et Jim de François Truffaut 1962 – Adieu Philippine de Jacques Rozier 1963 – Cléo de 5 à 7 d’Agnès Varda 1963 – Muriel ou le Temps d’un retour de Alain Resnais 1963 – Le Mépris de Jean Luc Godard 1963

A bout de souffle
A bout de souffle de Jean-Luc Godard

Erin

Bibliographie
  • Encyclopaedia Universalis. Article de Jean Collet, docteur ès lettres, professeur à l’université de Paris-V-René-Descartes, critique de cinéma
  • Histoire du cinéma français. Jean Pierre Jeancolas
  • La grande histoire du 7ème art Laurent Delmas et Jean Claude Lamy
  • La Nouvelle Vague de Michel Marie
  • Notes de cours de Boris Henry
  • Cinéclub de Caen
En savoir plus Article du monde diplomatique : A-t-on le droit de critiquer la Nouvelle Vague ?