La Sixième Génération du Cinéma Chinois

I. Naissance de la Sixième Génération du Cinéma Chinois

1. Contexte

Suite aux événements de Tiananmen et l’écrasement de la révolte étudiante sur la place, la politique d’ouverture progressive mise en place connaît un net coup d’arrêt. Wu Tian-Ming, en voyage à l’étranger, est limogé suite à certaines déclarations.

2. Naissance de la sixième génération

Une nouvelle génération de réalisateurs apparaît avec un nouveau style aux antipodes de la précédente. Cette « sixième génération » opte pour un cinéma beaucoup plus cru mêlant fiction d’un réalisme sans apprêt et documentaire sur le vif, avec souvent une image sale, des caméras à l’épaule, un son direct de qualité inégale. Ils veulent montrer le quotidien de la jeunesse urbaine idéaliste et paupérisée, travaillé par les influences occidentales, vivant loin des canons des morales communistes ou confucéennes dominantes. Ces cinéastes ont regardé en face les changements de la société chinoise au cours des années 1990, le chômage, l’écart grandissant entre les riches et les pauvres et leurs films en témoignent. En 1989, Chen Kaige, Wu Tianmin trouvèrent refuge aux Etats-Unis. L’avenir du cinéma chinois au printemps 1989 est loin d’être serein, les studios se contentèrent surtout d’achever les tournages des films commencés ou planifiés en 1988. Le profil d’une nouvelle génération commence à pointer le bout de son nez, en 1989 Ni Zhen parlait de la « post cinquième génération » avec pour cinéastes Zhang Zeming, Sun Zhou, Mi Jiashan, Zhou Xiaowen ainsi que les vieux Huang Jianxin et Tian Zhuangzhuang. Les films de cette génération seront marqués par la précédente mais aussi par un retour à l’intrigue, un nouvel intérêt pour l’individualité des personnages par une expression verbale accrue.

Wu Tianmin
Wu Tianmin

3. Etat du cinéma chinois post Tiananmen

Le 1er mai, une nouvelle classification des films entre en application, les films classés R seraient désormais interdits au moins de 16 ans et interdits de diffusion dans les zones rurales. Le Festival de cinéma chinois à Pékin fut présenter comme le premier du genre, comme si celui de 1987 n’avait pas eu lieu, et se tint du 21 au 27 septembre. 42 films furent présentés dont 20 fictions. On retrouve dans ce festival des anciens comme Xie Jin, Xie Tieh ou Ling Zinfeng mais aussi des représentants de la nouvelle génération comme Wu Ziniu ou Huang Jianzhong. Peu d’étrangers y participèrent.

Liu Xiaoqing
Liu Xiaoqing

Teng Jinxian, directeur du bureau du cinéma, dira que le cinéma chinois n’avait jamais autant fait preuve « d’énergie et de vitalité juvéniles » ajoutant qu’il « avait entrepris une transformation culturelle, stimulée par les réformes économiques et la politique de porte ouverte et fondée sur une série de conflits entre la culture occidentale et la culture orientale, entre la conception moderne et la conception traditionnelle ». Le cinéma chinois est entré dans une période de transformation. En dépit des événements de Tiananmen, on peut voir lors de ce festival que le cinéma chinois est plutôt en bonne santé. En 1991, le grand événement de la remise des prix annuelle est la présence des réalisateurs de Hong Kong, Taïwan et Macao et de la participation à un autre séminaire consacré au cinéma chinois de certains films tournés sur ces trois territoires. C’était depuis 1949 la première fois que des cinéastes du continent et de Taïwan discutèrent de leur passion commune : le cinéma. C’était le premier jalon planté sur la voie qui s’ouvrait ainsi au « cinéma chinois sans frontière », le cinéma chinois devait être une entité constituée de films de la République populaire, de Taïwan et de Hong Kong.

4. Vie socialiste à un caractère chinois

Du 5 au 10 janvier 1990, la section propagande du comité central du Parti Communiste et le ministère de la Culture organisèrent une conférence nationale sur les activités culturelles et le « travail artistique ». Li Ruihuan, du comité permanent du bureau politique du Parti Communiste, déclara que les dirigeants du cinéma « devaient avoir une connaissance lucide des graves influences du libéralisme bourgeois sur leur sphère d’activité et qu’ils devaient absolument pas négliger ni dissimuler ces influences ». Les responsables du ministère du cinéma furent invités à « refléter la vie dans son réalisme quotidien », à « maintenir l’orientation » : « servir le peuple et le socialisme ». Li Ruihuan dénonce les tenants du libéralisme bourgeois qui ont rejeté l’histoire de la nation chinoise et tenté « d’occidentaliser la Chine ». Li Ruihuan, lors d’une nouvelle conférence le 21 février, déclare lors de son discours d’ouverture que « de graves problèmes non négligeables subsistent dans la création : sous l’influence du libéralisme bourgeois dans le domaine politique, certaines mentalités se sont développées, telles que la recherche du profit à tout prix; ainsi sont apparues une quantité d’œuvres vulgaires et d’un niveau culturel assez bas. » L’art cinématographique doit suivre « une voie socialiste à caractère chinois », les films doivent avoir « des qualités à la fois de divertissement, d’esthétique et d’attrait artistique » sans négliger « l’aspect éducatif et d’apprentissage du cinéma ». Avant la fin de la conférence, les cadres du Parti Communiste recommandèrent aux réalisateurs « de prendre comme thèmes principaux la vie sociale et l’histoire révolutionnaire, tout en élargissant la variété des sujets et des styles ».

II. La 6e Génération du Cinéma Chinois

La nouvelle génération a vécu en 1989 l’événement de Tian Anh Men. Ces jeunes n’avaient pas connu la guerre mais cet événement leur a laissé une trace très sombre. C’est pourquoi les films de cette sixième génération s’intéressent à la vie d’aujourd’hui et ne parlent pas d’histoire mais des problèmes concrets, des répressions et des difficultés. Leurs films sont très personnels, ils sont singuliers dans le cinéma chinois. Traditionnellement, les Chinois ne font pas confiance aux jeunes, face à cette méfiance les jeunes sont soumis à une sorte de pression. Du coup, en réponse, certains ne vivent pas leur vie présente et n’ont pas de vie passé. Tous leurs efforts sont consacrés à leur vie de demain. D’autres ont un passé douloureux, ne vivent pas bien le présent et n’ont pas de futur. Tous désirent être heureux mais peu y arrivent, dans la Chine moderne les biens appartiennent à des nouveaux riches et la société se sent désorientée. Quand tout le monde te dit non, comment résoudre ses problèmes ? C’est ce dont parle le film Plaisirs inconnus de Jia Zhangke. Pour la sixième génération, être indépendant est primordial, ils découvrent le cinéma indépendant.

1. Cinéma en jean et Nouvelles préoccupations

Les cinéastes chinois s’habillant de plus en plus en jean, « symbole universel d’une liberté pas seulement vestimentaire », adoptent pour leurs films cette même mode découverte avec ravissement par la jeunesse chinoise dès les premières années de « l’ouverture ». Régis Bergeron appelle « cinéma en jean » les productions bÂties sur des sujets « in » qui se trouvaient au coeur des préoccupations des nouvelles générations. Ces films sont centrés sur des problèmes de société, « occultés par le pouvoir et la propagande qu’ils dérangeaient, sans parler du poids des moeurs et des coutumes, des traditions et des vieilles croyances que la révolution culturelle avait certes ébranlés, sans réussir à les mettre sérieusement à mal en raison de ses excès et de sa confusion ».

2. Nouveau genre

En 1990 on vit l’apparition du premier téléfilm d’animation stéréoscopique et peu de temps après la naissance du premier dessin animé électronique avec un clip en trois dimensions de 46 secondes destiné à présenter les Jeux Olympiques asiatiques.

3. Nouveaux sujets

La série Aspirations, œuvre de cinq cinéastes d’une trentaine d’années fut un véritable succès. Diffusée en cinquante épisodes à la télévision, elle fut très suivie et « donna la mesure de l’importance prise par certains problèmes dans la conscience collective ». Cette série posait des questions sur la morale, le mariage, le travail pendant la révolution culturelle, et sur la réforme. Des films comme Le Vagabond aborde des sujets jusqu’à présent ignorés par la cinéma chinois tels que l’avortement ou les mères célibataires. De nombreux films en 1991 montrant les questions religieuses de la vie des couples, sont consacrés au mal de vivre des jeunes femmes chinoises comme Une Femme célibataire ou Une Femme chauffeur de taxi. En 1992 on retrouve Le Monde des femmes de Dony Kena qui montre les difficultés que trois intellectuelles quadragénaires rencontrent dans leur vie familiale et professionnelle. Un autre film posera un problème social, peu de temps après, Une Veuve temporaire de Hu Xueyan, réalisateur de Shanghai, aborde « les difficultés, les sentiments, les peines, les tentations de femmes restées provisoirement seules parce que leur mari a été envoyé à l’étranger ou séjourne loin d’elles pour raison d’études ou de travail, on comptait 10 000 de ces femmes à Shanghai à cette époque. » « Le film plaide pour le droit de chaque individu à choisir son destin et pour que la société, qu’il soit bon ou mauvais, respecte ce choix. Avec Zhang Yuan, Hu Xueyan est présenté comme un des premiers membres de la « sixième génération ».

Hu Xueyan
Hu Xueyan

On retrouve le thème du divorce dans plusieurs films, comme Une Femme célibataire de Qing Zhiyu qui « devait être le premier plaidoyer cinématographique pour le divorce et pour le droit des femmes au bonheur ». Dans Le Puit en 1987, la réalisatrice avait montré le désespoir d’une femme, déjà jouée par Pan Hong, pour qui le divorce était interdit. Dans Une Femme célibataire, le personnage jouée par Pan Hong, divorcée, cherche l’amour et le bonheur pour échouer finalement, à nouveau, après avoir cru les avoir trouvés. Sun Zhou dans Un Cœur véritable nous montre un enfant de parents divorcés dont l’arrivée, après la séparation, va bouleverser la vie paisible de son grand-père et de son amie.

Pan Hong
Pan Hong

Dans Mama, Zhang Yuan nous montre une mère divorcée qui doit élever seule son fils handicapé. « Cette histoire, contée en noir et blanc mais émaillée de courts flashes en vidéo et en couleur qui marquent l’intrusion de la vie réelle dans la fiction, donne un film sobre et émouvant qui se préserve heureusement de toute dérive mélodramatique. » On retrouve l’évolution de la société dans les comédies comme Le Nouvel An de Huang Jianzhong qui a pour cadre de la fête traditionnelle chinoise, mais une fête plus moderne, « vécue sur le mode tragicomique par une famille dans une société bouleverse par les réformes économiques. » Les thrillers « se mettent eux aussi en jean » avec Il n’y a pas d’autre choix et Bataille sanglante à bord du Lion céleste sortis tous deux début 1992. Le premier montre la poursuite et la capture de sept évadés de prison grÂce à l’infiltration d’un agent de la sécurité dans leur bande; le second montre le démantèlement d’un réseau international de trafiquants de drogue par la police. Bai Chen, un vétéran, dans Le Vent dans la vallée raconte l’histoire d’une jeune femme répudiée par son mari pour sa stérilité supposée, qui se fait bonzesse, cependant elle tombe amoureuse et devient mère; cet écart lui vaudra pour sanction d’être cloîtrée. L’interprétation de la jeune femme vaudra à Son Jia un deuxième prix des Cents Fleurs. De 1990 à 1992, le cinéma chinois se trouva partagé entre deux courants « un pied dans une botte militaire, l’autre sur un talon aiguille » ou comme le dira Régis Bergeron « entre le jean et l’uniforme ». L’uniforme étant les films tournés à l’initiative du pouvoir à l’occasion du quarantième anniversaire du régime et du soixante-dixième anniversaire du Parti Communiste. Parmi ces films, on retrouve Des Campagnes décisives qui mobilisa 20 000 figurants. L’uniforme peut ne pas être militaire mais politique comme Jiao Yulu qui marque le retour du symbolisme édifiant où la morale prime et où les héros contemporains qui se dévouent au bien commun sont honnêtes et droits.

4. Les débuts de la 6e Générations

Wan Ping réalisa, sous la supervision de Xie Fei, Soleil sur le Toit du monde dont les héros sont une équipe chargée de monter des stations d’utilisation solaire au Tibet. Jiang Wen décida de passer derrière la caméra en travaillant sur son premier film Les Jours ensoleillés qui sortira en 1994 et sera à l’honneur à Venise. Sa compagne Liu Xiaoqing espérait que son film serait prêt pour Cannes, en 1992, tous deux étant invités par le CNC à venir à Paris en Mai. Selon Liu Xiaoqing, la « sixième génération » préparait son entrée sur la scène cinématographique et que celle ci serait plus radicale que la cinquième.

Jiang Wen
Jiang Wen

Elle reconnaissait être incapable de donner les caractéristiques de cette nouvelle génération mais ajoutait qu’il sera encore plus dur pour cette génération de faire un film en Chine, la cinquième ayant bénéficié d’une période d’ouverture.

5. Les Thèmes

a. Les Enfants

Catherine Deneuve et Xie Jin furent les invités d’honneur au Festival international de télévision de Shanghai. Au moment du festival Xie Jin achevait Etoile du matin qui parlait d’un garçon de douze ans handicapé mental, sujet tabou dans une société qui privilégie l’eugénisme. Le sujet avait été abordé par Zhang Yuan un an plus tôt dans Mama. Dans ce film Xie Jin se préoccupent du sort des enfants pour la deuxième fois après Ah! Le berceau! Les films ayant des enfants pour héros furent nombreux en 1992 avec Une Enfance frustrée, Mon Mois de septembre à moi, Un Cœur véritable, Xiaoxue, Le Commencement de la vie, Son Sourire derrière la flamme de la bougie, Les Instituteurs de campagne, et Une Réponse venue du ciel.

b. Le Sens de la vie, les Rapports humains dans la société

A la fin de l’année 1991, Teng Jinxian, le directeur du Bureau du cinéma, avait déclaré que l’année 1992 devait marquer le début d’une période de cinq ans durant lesquels la qualité des films serait la principale préoccupation. Ces films devaient exprimer l’esprit de l’époque et être fidèles aux caractéristiques nationales. L’interprétation par les cinéastes ne répondit guère à la volonté idéologique. La majorité de leurs films « interpellèrent le public sur le sens de la vie, d’un type donné de société, des rapports humains, du couple homme-femme à la société tout entière… » Dans Le Mariage de Tuya en 2006, Wang Quan’an filme des scènes de vie réelle, scènes renforcées en utilisant des acteurs amateurs. La force des films de cette sixième génération vient de ce sens de la réalité. La vie change très vite et les Chinois doivent très vite s’adapter. Pendant cette période d’adaptation, ils ne sont pas toujours heureux et perdent leur joie. Le film Le Mariage de Tuya aborde d’ailleurs ce sujet : qu’est-ce que apporte le bonheur ? Ils accordent beaucoup d’attention à l’être humain, l’humain dans la Chine contemporaine. Wang Chao, comme dans Voiture de luxe en 2006, exprime son point de vue sur les problèmes actuels, il essaie de respecter la vie puis de la dépasser, de respecter la réalité puis d’aller au-delà. Il associe la réalité et les choses dramatiques de la vie.

c. La Famille

Li Shaohong montre le trouble qui envahit l’existence d’un ménage moderne quand surgit entre eux l’enfant né d’un mariage antérieur du mari qui ignorait cette naissance dans Un Homme de quarante ans. Dong Kena, dans son dernier film parle des amours de trois jeunes femmes modernes soumises aux aléas de la vie. On retrouve plusieurs films avec pour sujet la famille, ses problèmes, ses conflits et souvent le divorce qui devient « périodiquement » un sujet de prédilection pour les cinéastes. Le problème du contrôle des naissances, jusqu’à là ignoré, fut aussi abordé.

d. Les Films familiaux et les Femmes

Les Femmes sont aussi le peuple de Lu Jianhua et Yu Zhongxiao montre les difficultés que rencontrent les cadres spécialisés pour appliquer le planning familial à la campagne. Le film s’attaque aux idées reçus « féodales » sur la supériorité des hommes sur les femmes, sur la conception selon laquelle ces dernières ne seraient que les machines à faire des enfants ou sur l’affirmation : « Plus on a d’enfants, plus on a de bonheur! ». « Les films familiaux sont souvent de facture très classique » comme dans Belle-mère de Sun Daolin ou dans Une Famille Confucius de Wu Yigong qui abordent les problèmes et les conflits qui peuvent surgir dans une famille descendants de Confucius, une famille chinoise traditionnelle. Cinq générations vivent sous le même toit et une parente des Etats-Unis vient d’arriver. « Que peuvent devenir les traditions familiales dans un tel milieu à l’heure des réformes et de l’ouverture ? » La Chine change à grande vitesse, on est face à un heurt des cultures, un conflit entre l’ancien et le nouveau, entre les générations.

e. La Culture traditionnelle

Le nouveau film, Le Dieu des montagnes, de Huang Jianzhong raconte l’histoire de montagnards planteurs de ginseng dans les années 1940. Il s’interroge sur la culture traditionnelle.

f. Le Yuppie

Pang Hao dans A la poursuite du soleil parle des péripéties et des vicissitudes du développement économique. Un personnage jusque la inconnu surgit de la société chinoise : le yuppie.

g. La Vie rurale

Le Sol du pays natal de Wang Jixing revient à la vie rurale en montrant les rapports étroits entre les paysans et les cadres issus du terroir, « il en tire cette morale : le communisme ne peut s’épanouir sans le concours des masses populaires. »

h. Les Psychanalystes

D’autres nouveaux personnages font leur apparition comme la jeune psychanalyste dans La Confusion des sentiments de Chen Govaing.

i. La Société – Pour le plaisir

« Le film le plus original » en 1992 fut Pour le plaisir de Wing Ying. Wing Ying fut l’assistante de Bertolucci dans Le Dernier Empereur. Les acteurs de Pour le plaisir sont pour la plupart des amateurs. Cette comédie a pour personnage principal l’ancien régisseur d’un théÂtre qui rencontre un groupe de retraités, dans un parc, qui chantent  « pour le plaisir » l’opéra de Pékin en plein air. Se faisant passer pour un spécialiste, il les organise comme des professionnels. Le groupe perd son plaisir de chanter, sous la pression des règles, de la discipline comme dans leur vie active, les chanteurs amateurs vivent soudain en étant de tension qui provoque l’éclatement de ce groupe. L’histoire de ce groupe ne peut qu’évoquer celle de La Société. Pour le plaisir reçut de nombreux prix à l’étranger et sera même plus diffusé à l’étranger qu’en Chine où il connut un insuccès « paradoxal ».

6. Culture féodale

En 1993, 154 films de fictions furent réalisés. Femmes du lac des Âmes parfumées de Xie Fei reçut l’Ours à Berlin ex aequo avec Le Garçon d’honneur de Ang Lee. « Pour Xie Fei, le but du cinéma est de refléter la vie réelle, de s’attacher à la psychologie des êtres humains, à leur nature profonde ».

Femmes du lac des âmes parfumées
Femmes du lac des âmes parfumées

Son héroïne a été mariée très jeune à un homme beaucoup plus vieux, un alcoolique infirme, dont elle a eu un fils handicapé. Elle aura aussi une fille avec un chauffeur de camion. « Acte caractéristique de la pesanteur des traditions : bien qu’elle en ait été victime, elle achète une épouse pour son fils comme on l’a jadis achetée elle-même ». C’est là « un type de femme marquée par une culture féodale », souligne Xie Fei qui survivent encore dans les campagnes.

7. Jian Wen – Les Jours ensoleillés et la Révolution culturelle au cinéma

Même si Tian Zhuangzhuang aborde le sujet de la révolution culturelle dans Le Cerf-volant bleu, la Révolution culturelle restait quand même un sujet brulant. En abordant ce sujet on risquait de se heurter à de nombreux obstacles. Malgré tout, des cinéastes ne se décourageaient pas. Huang Shuqin projetait de consacrer un de ses prochains films à ce sujet, Sun Zhou évoqua son propre projet, qu’il ne pouvait réaliser sans obtenir l’agrément officiel, son scénario fut en effet refusé. Jiang Wen commença en août 1993 le tournage de son premier film, Les Jours ensoleillés, d’après le roman de Wang Shuo, Animal féroce. Le film offre avec celui de Tian Zhuangzhuang « une vision unilatérale et opposée de cette révolution. » « Elle était violence et terreur » pour Tian Zhuangzhuang, « kermesse et fête » pour Jiang Wen. Jiang Wen avait déclaré avant de commencer son film : « la Chine vivait sa puberté ».

Les Jours ensoleillés
Les Jours ensoleillés

Venu du théÂtre, Jiang Wen était un acteur très populaire avant de se lancer à la mise en scène. « Jiang Wen considère qu’il appartient à une « génération négligée » sur le plan intellectuel mais qui a pu à loisir observer autour d’elle et en tirer les leçons ». « Si tout le monde continue à accabler la révolution culturelle, déclare-t-il, et cherche à décliner sa responsabilité, on va se demander comment un tel mouvement a pu prendre naissance, comment ce grand courant de masse s’est développé ». « Sans doute est-ce affaire de génération. Jiang Wen, Cui Jian ou Wang Shuo pour qui elle fut émancipation, un « appel d’air », ne portent pas sur la révolution culturelle le même regard que Zhang Yimou ( Vivre ), Chen Kaige ( Le Roi des enfants et Adieu, ma concubine ) et Tian Zhuangzhuang, très marqués par elle au temps de leur adolescence. » Leur jugement est « Jamais plus! ». Ceux de Jiang Wen : la révolution culturelle fut une « fête géante », elle a appris aux « Chinois à se tenir sur deux pattes » et non sur quatre, « quoi qu’on en dise, et même s’il y a eu des dérapages, [elle] a été une profonde et salutaire crise de puberté pour le peuple chinois ». Jiang Wen parle de « coup de foudre » à propos de Mao. Vint ans après sa mort, il est l’objet d’une « nouvelle évocation nostalgique », il est « un modèle de réussite sociale », la réussite d’un homme « tout droit sorti du peuple ». Il est « celui qui a accordé aux jeunes ( ceux qui avaient le moins de chances ) l’occasion de se réaliser. Jiang Wen n’était qu’un adolescent quand la révolution culturelle prit fin. Il se sentait impliqué dans cette fiction fondée sur ses souvenirs. La recherche des principaux interprètes dura cinq mois. Il choisit Xia Yu pour tenir le rôle de Ma Xiaojun, le héros, Âgé de seize ans, du film Yangguang Canlan de Rizi. Il reçut en 1994 la coupe Volpi du meilleur acteur à Venise. On retrouve Siqin Gaowa au casting.

Xia Yu
Xia Yu

Le film commence en 1969, pendant la révolution culturelle. Le plus dur de la révolution est passé mais les troubles qu’elle entraîne se poursuivent. « L’atmosphère est festive et guerrière ». Pékin, livré aux adolescents, est devenu un vaste champ de manœuvre pour les bandes de jeunes, gardes rouges ou non qui occupent les rues, toute la journée en raison de la fermeture à la campagne ou en prison. Les enfants sont livrés à eux mêmes, Ma Xiaojun dit « Nous sommes la génération oubliée ». On voit les héros grandir au fil des années de la révolution culturelle. Vers la fin de celle-ci, viennent les premiers amours jusqu’au moment tragique et une bagarre entre gangs. « Les Jours ensoleillés laisse le souvenir d’un film juvénile et tonique sur un temps de joyeuse insouciance », « un film où le monde intérieur des protagonistes compte tout autant, sinon plus, que l’univers et les événements extérieurs. » Le film sera élu meilleur film de l’année 1995 par le magazine Time.

8. Les tabous

Le « baiser français » fut interdit durant trois décennies des écrans ainsi que le nu à quelques velléités près. Les premiers corps nus apparaissent en 1993 dans Pan Yuliang, une femme peintre de Huang Shuqin où l’artiste va peindre les femmes dans les bains publics. La réalisatrice avait refusé de couper les scènes, déclamant « Si je le faisais, le film ne serait pas complet ».

Pan Yuliang, une femme peintre
Pan Yuliang, une femme peintre

La même année Lin Hongtong mit aussi la nudité à l’écran avec le sulfureux Amour, sexe et désir. Après le baiser sur la bouche, le nu, le tabou de l’homosexualité n’est plus respecté. Ang Lee, le montre au cinéma dans Le Garçon d’honneur, réalisé hors des frontières chinoises. En Chine on aura la réponse avec Adieu, ma concubine.

9. Les Sujets de société

En 1993, le corps social de la Chine est malade, la crise de la société s’approfondit, s’aggrave, on assiste au retour de la délinquance, de la prostitution, de la drogue, le chômage augmente, les mendiants apparaissent dans les lieux publics. Le premier ministre, Li Peng appelle à punir « les activités criminelles de toutes sortes », les délits économiques les plus graves, à lutter contre les « six maux » que sont la prostitution, les enlèvements de femmes et d’enfants, la toxicomanie, le trafic de drogues et les publications pornographiques qu’il s’agit de « faire disparaître » et de « réglementer le comportement des agents de police, améliorer la qualité du personnel judiciaire et accroître les forces de l’ordre ». Les cinéastes vont puiser « dans cette matière sociologique » les sujets de leurs films. Gao Tianghong avait tourné Le Premier Cas de grosse corruption de la Chine nouvelle en 1993, mais avait situé son film dans les années 1950. Wing Ying dénonce certains agissements de la police qui s’immisce dans la vie intime des habitants des quartiers sous le prétexte de les protéger contre les chiens enragés errant dans Ronde de flics à Pékin. Le film recevra une mention spéciale du jury et le prix de la critique internationale au Festival de Saint-Sébastien en 1995.

Ronde de flics à Pékin
Ronde de flics à Pékin

Peu à peu tous les problèmes de la société contemporaine s’emparent du cinéma dont le mal de vivre de la jeunesse. De nombreux films de nouveaux jeunes réalisateurs de République populaire ressemblent de plus en plus, dans leur forme, le choix de leurs sujets et par leur « philosophie », à ceux de leurs homologues de Hong Kong ou, surtout, de Taïwan. La mutation de la société chinoise contemporaine la rapproche de plus en plus du standard universel des sociétés de marché. Comme le montre Zhang Yuan dans Les Bâtards de Pékin, le jeune Chinois des filles est aujourd’hui vêtu d’un jean, chaussé de baskets, boit du coca-cola, fume des malboro et donne des rendez-vous à ses copains au McDonald.

Zhang Yuan
Zhang Yuan

10. Les Sujets contemporains

De jeunes cinéastes, à leur tour, mettent en cause la génération qui les précède. Ils pensent que le cinéma doit saisir l’instant et dans sa réalité crue. On retrouve Zhang Yuan, He Jianjun, Sou Ye, Jun Zhou, Wang Xiaoshuai, Zhang Ming, Lu Xuechang, Zhang Xiaomin, Guan Hu, Huang Jun ou Hu Xueyan. D’autres moins jeunes, sont des espoirs sûrs, tels que Hu Qun et Liu Miaomiao. Liu Miaomiao, issu de la minorité musulmane réalisera avec Une Famille déchirée, un film même plus proche de ceux de la quatrième génération que de la cinquième. Avec Le Petit Bavard, elle s’en prend aux mentalités archaïques montrant comment on enjolivait le passé de son enfant, la réalité, la pauvreté et l’arriération d’un village. Sa démarche, conforme à la réalité, définit les limites du cinéma de la cinquième génération : « les cinéastes de la cinquième génération ont souvent des idées qui vont à contre-courant des autres, mais idéaliser sans cesse la vie est une vision incomplète du monde et il faut parfois se confronter aux réalités ». « Si les plus jeunes des cinéastes apparus au cours des premières années 1990 privilégient les sujets puisés dans la vie quotidienne et brossent de celle-ci un tableau souvent naturaliste exempt lui aussi de toute idéalisation, sans doute cette orientation est-elle pour beaucoup due à l’influence de la télévision, des séries télévisées, très populaires, qui serrent de très près les problèmes de société. Certaines ne craignent même plus de traiter des sujets les plus délicats comme la corruption au sein du Parti Communiste et des organismes gouvernementaux. » Les films exaltant courage et vertu furent récompensés par le gouvernement en 1994, il y a une réhabilitation de la notion de passivité chère au « réalisme social » d’antan. On se croirait revenu trente ans en arrière. Les personnages historiques qui autrefois avaient une image négative tels que Tchang Kaïchek, Chen Duxiu, Lin Pao font l’objet d’une présentation nuancée. Le film de Zhai Junjie, Au bord du fleuve Jinsha, présente le jeune Mao sous l’aspect d’un jeune poète romantique, époux attentionné plus tard puis papa attentionné alors qu’il est déjà un révolutionnaire chevronné. « Ces films semblent être nés dans une toute autre société que celle où le gros de la production cinématographique se nourrit de la violence, de l’horreur ou du fantastique, où thrillers et polars prolifèrent, […] où tant de réalisateurs se plaisent à traiter des cas de psychologie individuels et des problèmes de société, parmi lesquels il n’y a plus de tabous. On peut notamment remarquer que la production de 1991 a été marquée par la prédominance d’histoires réalistes avec des sujets sur la vie quotidienne, « captant les émotions fortes de la vie », et par l’éclosion de nouveaux talents « au style original et souvent très soucieux de la qualité ».

11. Le cinéma commercial contre le cinéma artistique

La conjoncture de la Chine fait que pour l’heure le cinéma commercial l’emporte sur le cinéma artistique. Des écrivains comme Chen Ran redoutent de voir leurs œuvres adaptées dans un but commercial et ainsi transformées. Il y a deux façons de traiter un sujet, selon le point de vue du metteur en scène sur la vocation du cinéma : artistique ou commercial, autrement dit l’art et la manière. Par souci de rentabilité la tendance commerciale l’emporte. C’est sur le caractère artistique du cinéma que la cinquième génération avait mis l’accent, quand elle avait fait ses premiers pas, le sujet devenant plus ou moins accessoire. Les conditions économiques firent que même certains des plus ardents défenseurs d’un cinéma artistique se résignèrent à infléchir leur ligne initiale et à faire des concessions face aux impératifs commerciaux. Les « grands » donnent au terme « commercial » une connotation péjorative; le commercial ne peut qu’être exclusif de la qualité. Le manque d’argent handicape le cinéma, l’infrastructure de son industrie ne répond plus à la capacité de financement. Malgré la crise, on vit l’ouverture, au sud de Pékin, au Centre Beiputuo de cinéma et de télévision, conçu pour être utilisé comme lieu de tournage. Ce centre assurera aussi une formation professionnelle aux futurs cinéastes.

12. Conclusion

Cette sixième génération opte pour un cinéma plus cru, qui mélange fiction réaliste et documentaire, avec souvent une image « sale », des caméras à l’épaule. Il s’agit d’un choix artistique mais aussi politique avec une volonté de documenter le quotidien de la jeunesse urbaine, influencée par l’occident, vivant loin des canons de la morale, Zhang Yuan ( Mama en 1990, Les BÂtards de Pékin en 1992 ) et Nin Ying ( Zhao, le jouer pour le plaisir en 1992, Ronde de flics à Pékin en 1995 à incarnent de la manière la plus aboutie cette approche.

Nin Ying
Nin Ying

Un mouvement alternatif, consacré à la jeunesse « alternative » de Pékin se forme avec Bumming in Beijin de Wu Wenguang, Les Jours de Wang Xiao-shuai, Les Perles rouges de He Yi, In Expectation de Zhang Ming dont les films évoquent le cinéma occidental indépendant.

Wu Wenguang
Wu Wenguang

Le courant « réaliste critique » apparu au cours des années 1990 sera rejoint par des cinéastes tel que Lu Yue, Zhao Jin-seng, Liu Bin-jiang, Wang Chao, Zhu Wen et Yan Yan Ma. En 1991, le film Jiao Yulu fut couronné avec deux Coqs d’or et deux prix des Cents Fleurs, ceux du meilleur film et du meilleur acteur. « Si son réalisme avait plu au public, son succès était dû peut-être au fait que les gens sentent comme un malaise dans la société actuelle et qu’ils espèrent retrouver des cadres du Parti enthousiastes comme Jiao Yulu.

TitCalimero

Source :
*Le cinéma chinois 1984-1997 de Régis Bergeron, aux éditions Institut de l’image
*Le cinéma chinois de Jean-Michel Frodon, aux éditions Les petits cahiers
*Le cinéma chinois. Hier et aujourd’hui d’Hubert Niogret (documentaire vidéo )