Locataires

Titre original : Bin-jip
Réalisation : Kim Ki-duk
Scénario : Kim Ki-duk
Acteurs principaux :
Jae Hee
Lee Seung-yeon
Kwon Hyuk-ho
Pays : Corée du sud
Genre : drame
Durée : 88 min
Année : 2004

 

Critique analytique :

Le film s’ouvre sur Tae-suk collant des tracts sur les portes afin de repérer les maisons vides. Lorsque l’on voit ce jeune homme ouvrir comme un voleur la porte d’un appartement, le spectateur est amené à penser que Tae-suk n’est en effet qu’un petit squatteur qui compte bien se remplir les poches. Quelle surprise de voir le jeune homme s’installer et prendre ses aises dans cet appartement comme si c’était le sien. Tae-suk lave le linge, arrose les plantes et insuffle tout simplement un peu de vie dans cet appartement momentanément privé de toute vie. « Nous sommes tous des maisons vides, attendant ardemment que quelqu’un vienne ouvrir la porte qui nous libère… » chante le disque qui revient tout au long du film.
Une certaine humanité se dégage donc du personnage de Tae-suk.
Mais qui est donc Tae-suk ? Pourquoi s’introduit-il dans ces appartements pour y passer la nuit ? Se peut-il que Tae-suk n’est pas d’autre endroit où aller ?
L’on apprend par la suite que le jeune homme est diplômé et qu’il a donc fait des études supérieures, ce qui rend sa situation encore plus étrange. Si ce n’est pas par nécessité, alors qu’est ce qui pousse Tae-suk à visiter ces appartements ? Il est fort probable que Tae-suk soit un marginal qui ait décidé de vivre une vie originale. Cependant, on ne peut pas s’empêcher d’émettre une autre hypothèse. Est il possible que le chômage éventuel subi par Tae-suk l’ait poussé à mener cette vie marginale ?
Tae-suk a fait le choix d’une vie nomade. Mais en est il pleinement satisfait ? Pourquoi a-t-il pris l’habitude de se prendre en photo aux côtés des portraits des propriétaires des maisons qu’il visite ? Si le jeune homme immortalise chacun de ses passages dans les maisons qu’il visite, c’est sans doute parce qu’il se rend bien compte que son choix de vie le prive en quelque sorte d’avoir une vie sociale et familiale normales. Mais pourquoi alors ne pas changer de vie, cesser de s’approprier des instants de la vie des propriétaires des maisons qu’il visite et avoir sa propre maison et sa propre famille ? N’en est il pas capable financièrement ou psychologiquement ?
Lors de son emprisonnement, Tae-suk s’évapore, et apprend à devenir invisible. Les scènes de son entraînement sont particulièrement belles notamment grâce à un jeu sur la lumière totalement maîtrisé et à la grâce qui se dégage du corps en mouvement de Tae-suk.

Sun-hwa, la jeune femme battue par son mari qui va s’enfuir avec Tae-suk semble complètement détruite au début du film. Elle va se reconstruire tout au long du film grâce à la relation spirituelle qu’elle développe avec Tae-suk. Grâce à Tae-suk, elle va goûter à la liberté et à l’amour.
L’évolution du portrait de la jeune femme suspendu sur l’un des murs d’un photographe est très éloquente. Sun-hwa va découper son portrait en plusieurs morceaux et en faire une sorte de patchwork, ce qui montre son état d’esprit. Elle est divisée, perdue et elle ne sait pas vraiment qui elle est ni où elle en est. A la fin du film, son portrait a été reconstitué. Ceci nous montre une évolution dans le personnage de Sun-hwa qui s’est alors trouvée en tant que femme.

Kim Ki Duk nous propose donc aussi une réflexion sur la position de la femme dans la société coréenne. Sun-hwa est en effet contrainte de rester dans sa prison dorée car elle est dépendante de son mari qui semble la traiter davantage en objet qu’en personne. En effet, lorsque le mari de Sun-hwa réussit à la récupérer, on apprend qu’il a envoyé de l’argent à ses parents, comme si elle avait été achetée en quelque sorte.

Kim Ki Duk nous offre une réflexion sur la solitude et l’aliénation de l’être humain, c’est à dire la dépossession de ses forces au profit d’une force supérieure.
Les personnages de Tae-suk et Sun-hwa sont quasiment muets. Ils ne se parlent même pas entre eux. Kim Ki Duk s’intéresse alors à l’impossibilité de communiquer entre deux êtres.
Mais qu’est ce qui peut empêcher deux êtres qui s’aiment apparemment à ne pas se parler ?
Même si on ne sait pas grand chose des personnages, il semble évident que Tae-suk et Sun-hwa sont des personnages meurtris qui ont des blessures peut être encore ouvertes.
Mais le silence quelque peu spirituel est surtout la base même de leur relation. Est-il vraiment nécessaire de parler lorsque deux cœurs meurtris errent en ville ?
Et pourtant, Sun-hwa semble vouloir communiquer avec Tae-suk lorsqu’elle s’interpose à plusieurs reprises à son amant voulant tirer quelques balles de golf. Si Sun-hwa ne semble pas supporter la vue que Tae-suk jouant au golf c’est sans doute parce que ce sport lui rappelle la classe bourgeoise à laquelle son mari violent appartient, et qu’elle veut fuir. Notons tout de même que Sun-hwa rompt son silence à la fin du film pour déclarer son amour à Tae-suk « Je t’aime ».

Kim Ki Duk fait plusieurs références à la tradition coréenne. En effet, alors que la majorité des appartements visités sont très modernes voire même américanisés pour certains, la maison idéale et qui apporte le plus de sérénité est la maison traditionnelle coréenne où vient se reposer Sun-hwa pour échapper à la solitude à laquelle son mari et son luxe la condamnent.
Sun-hwa lave même son linge de manière traditionnelle à la fin du film alors qu’elle possède une machine à laver, comme lui fait remarquer son mari.
Tae-suk se pose aussi en sauveur lorsqu’il répare les différents objets cassés qu’il voit dans les maisons qu’il visite. Bref, il insuffle un peu de vie dans ces appartements momentanément morts. Mais est il possible que ces appartements soient aussi morts lorsque les propriétaires se trouvent chez eux ? La modernité entacherait-elle l’authenticité des maisons ?
La maison traditionnelle et laver le linge à la main sont des éléments permettant de montrer que rien ne vaut une vie authentique, que le luxe est superficiel et qu’il ne fait certainement pas le bonheur.

Le titre anglais « 3 Iron » nous donne une nouvelle piste à explorer. En effet, Tae-suk utilise tout au long du film le club de golf le fer 3. L’utilisation de ce club traduit une idée de violence.
Le golf en général est un sport pratiqué par la classe bourgeoise. Le réalisateur se sert de ce club de golf pour dénoncer cette classe.
Locataires a beau être un film poétique et calme, il n’empêche pas Kim Ki Duk de traiter de la violence par l’intermédiaire du 3 fer. Le réalisateur s’intéresse en effet à l’origine même de la violence. D’où vient-elle ? Comment naît-elle ?
L’on peut distinguer deux types de violence dans le film. La violence peut naître d’un désir de vengeance ou peut être simplement accidentelle.
La première fois que Tae-suk en fait usage c’est pour défendre Sun-hwa, une jeune femme battue par son mari qui a surpris le jeune homme dans sa maison.
Tae-suk se servira de son club de golf comme arme pour se venger des personnes qui ont pu lui faire du mal (exemple : le surveillant de prison). Il tuera accidentellement une jeune femme à cause d’une balle perdue tirée en pleine rue.

Entre poésie et violence contenue, Locataires parvient à multiplier les thèmes avec beaucoup de finesse et de justesse. Parfois drôle, parfois émouvant, le film ne connaît aucune baisse de régime.

La fin du film témoigne bien de la dimension poétique qui porte tout le film. Sun-hwa retrouve le sourire car Tae-suk vit à ses côtés même si personne n’arrive à le voir. Rêve ou réalité, on ne peut savoir ce qu’il en est.
« It’s hard to tell that the world we live in is either a reality or a dream.  » ,que l’on peut voir à la fin du film et qui signifie  » Il est difficile de dire si le monde dans lequel nous vivons est la réalité ou un rêve. », résume à elle seule tout le film.

Erin

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