Le Nouveau Monde

Fiche du film

Titre original : The New World
Réalisation : Terrence Malick
Scénario : Terrence Malick
Musique : James Horner
Acteurs principaux :
Colin Farrell
Q’Orianka Kilcher
Christopher Plummer
Christian Bale
Pays : Etats-Unis
Genre : Aventures, Drame, Historique
Durée : 135 minutes / 172 minutes
Année : 2005

 

 

Critique analytique :

« Viens esprit, aide nous à chanter l’histoire de notre Terre. Tu es notre mère, nous, ton champs de maïs, nous naissons de ton âme. »
Cette voix off, qui débute le film, est accompagnée d’un plan vers le ciel, de gazouillis d’oiseaux, d’un plan sur l’eau puis d’une Indienne ( Pocahontas ) tendant les bras vers le ciel.

Après cette petite introduction débute le générique. Un générique avec une musique douce, une image qui fait d’époque, nature, dessin, cartographie, avec pour dernier dessin, un dessin de poisson suivi d’un réel poisson avec qui nage des Indiens. La beauté de ce dernier plan nous paraît idyllique, Terrence Malick nous montre qu’il existe encore un « Jardin d’Eden » sur Terre.

C’est alors qu’apparaît à l’écran « Virginia 1607 », trois caravelles anglaises arrivent. Insouciant les Indiens Algonquins descendent observer ces étranges choses. Deux mondes s’opposent, le monde des Indiens au torse nu et le monde des Anglais en armure.

La Légende de Pocahontas et la Construction de l’Amérique

Terrence Malick arrive à inscrire la légende de Pocahontas et la construction de l’Amérique dans un film d’aventure. Tout en respectant la dramaturgie nécessaire au genre, à l’image de Kubrick, il va faire évoluer le genre, en décalant l’action, ici contrairement aux films d’aventure classique, le héros paraît moins important, John Smith n’a pas la carrure d’un Christophe Colomb ou d’un Cortés, il débarque d’ailleurs les poignets liés par une corde.

Pour que le film soit réaliste, il faut que la légende et le récit paraissent véridiques, soient mis en scène comme si les événements avaient pu avoir lieu. Ainsi Malick va s’appuyer sur les récits de John Smith ( évidemment le témoignage a posteriori de John Smith détient une part de subjectivité )et réaliser son film à l’endroit même où a été bâti la première colonie.
Pour ajouter une part de crédibilité, il va faire construire un fort avec les matériaux trouvés sur place, pour que l’argile et le bois aient la bonne apparence, Malick voulait que tout soit réel. Il invita les chefs des différentes tribus à participer au film, utilisa les résultats des fouilles pour connaître la forme des maisons des Indiens et alla même jusqu’à créer un champ avec des graines se rapprochant le plus possible du maïs de l’époque.

Terrence Malick voulait donner le point de vue des hommes blancs d’après leurs récits, mais aussi raconter l’histoire à travers les cérémonies et les danses du point de vue des Indiens.

Comme La Ligne rouge, Le Nouveau Monde montre la rencontre de civilisations, une confrontation inégale entre deux mondes. Les Indiens n’hésitent pas, menés par la curiosité, à aller vers ces autres hommes. Les homme blancs paraissent figés, méfiants, ils ont peur et ont faim. Les Indiens sont libres de leur mouvements au contraire des colons qui doivent supporter de lourdes armures, ils n’hésitent pas à toucher et à renifler ces étrangers.

Les colons à leur débarquement sont sales, marqués par la lassitude et la souffrance. L’avantage paraît du coté indien, mais le mensonge quand les colons disent que d’autres ne viendront pas et le nombre d’habitants en Angleterre ( le chef des Indiens demandent à un homme de partir en Angleterre dans le but de compter le nombre d’habitants ) face au peu d’Indiens montrent le déséquilibre entre les deux civilisations.
On peut remarquer un plan où un indigène se retrouve face à une croix, n’est-ce pas un signe de la future christianisation de l’Amérique ?

Les relations entre les colons et les indigènes se détériorent au fur et à mesure que le film avance. Les Indiens combattent les colons devant le fort. Pour les Anglais, les Indiens représentent des barbares, des fils du diable. Pour les Anglais la terre doit appartenir à ceux qui la labourent et non à des sauvages.

Les colons finiront par brûler le village indien, qui fuiront, abandonnant leurs terres.
Le générique du début par ses images nous montre ce qu’il adviendra, d’autres Anglais débarqueront, massacreront les Indiens et cette colonie donnera les Etats-Unis que nous connaissons aujourd’hui.

Le Paradis perdu et la Confrontation avec la Nature

Le Nouveau Monde n’est pas qu’une évocation du paradis perdu, c’est avant tout un trajet spirituel. Grâce à l’utilisation de la voix off, Terrence Malick arrive à nous faire comprendre ce que ressentent les colons. A l’image de John Smith, certains cherchent un nouveau monde pour eux ( mais pas forcément un nouveau Jardin d’Eden ), il parle de prendre un nouveau départ, de profiter des biens faits de la Terre, ce monde lui paraît un paradis où tout le monde est à égalité, sans seigneur ( paradoxalement ils combattront les Indiens en criant Vive le Roi ), sans impôt qui les écrase. Tous seront riches et auront de quoi vivre sans avoir besoin de pillé.

Le Nouveau monde est visible dans la photographie de Malick mais s’incarne aussi dans la voix off.
Par opposition au rêve de John Smith, on peut observer le parcours de Pocahontas qui passe d’un état de pureté, d’harmonie avec son peuple et la nature, d’un vie insouciante, d’une vie heureuse à la plus grande confusion, à une vie très codifiée à l’occidental. Elle va s’habiller comme les femmes du XVIe siècle, va découvrir le mensonge, la trahison, oublier ses racines, oubliant la promesse qu’elle avait faite à son père, que son peuple devait passer avant son cœur. Elle ira même jusqu’à perdre son nom ( elle se fera nommée Rebecca après son baptême ) et à cacher le tatouage de sa jambe comme pour cacher son passé.

Terrence Malick utilise l’ouverture de L’Or du Rhin comme thème musical de l’arrivée des colons. L’Or du Rhin de Wagner montre le commencement du monde avant les hommes, et des dieux qui vont détruire l’harmonie du monde à cause de leur cupidité. Malick nous met ainsi en garde face au non respect de la nature.
Le film nous montre la confrontation de l’homme avec la nature. On est notamment émerveillé par le langage intérieur, fait de gestes, entre Pocahontas et John Smith qui essaient de s’échanger des mots, des mots représentant tous la nature.

Malick aime filmer les plantes, les animaux, l’eau. Il nous montre ainsi que les êtres vivants ( hommes et animaux ) et les végétaux forment un grand Tout, la Nature, on peut y voir une pensée très humaniste. Il oppose dans Le Nouveau Monde ces hommes qui vivent en harmonie avec le reste de la nature ( les Indiens ) et ces hommes capable de dévaster la nature ( les Anglais ).
L’harmonie des Indiens avec la nature est marqué par leur maîtrise de la culture alors qu’à l’opposé cette, soit-disant, civilisation supérieure ( les Anglais ) rasent les arbres pour s’installer. Vite les Anglais s’avèrent incapable de cultiver et leur camp devient un vrai lieu de cauchemar.

Les rôles s’inversent, les sauvages sont les blancs.

Malick essaie de réconcilier l’homme civilisé avec la nature par l’intermédiaire des Indiens qui sont plus purs et moins corrompus, la jalousie, la haine et le mépris leur sont inconnus.
Pendant sa captivité avec eux, John Smith commence à penser que son rêve est réel, que ce dont il rêve pour la nouvelle Angleterre semble exister sur ce continent. Les Indiens ne seraient-ils pas un pont pour l’homme ?

Leur harmonie avec la terre, l’univers et tout ce qui existe différencie les Indiens des Anglais.

Les Voix Off

La voix off nous permet une étude de l’être en tant qu’être, nous permettant de rentrer dans l’intimité des personnages, de révéler leurs pensées les plus profondes, leurs sentiments, de connaître leurs réactions, leurs peurs et même l’émerveillement de John Smith face à ce nouveau monde.

L’utilisation des voix off permet à Malick de décrire les sensations au lieu de les mettre en scène de façon trop théâtrale.
Par exemple, on comprend ce qu’a ressenti John Smith quand Pocahontas, pendant un rituel, s’est jetée sur lui, il a cru qu’elle lui avait sauvé la vie : « Au moment où j’allais mourir, elle s’est jetée sur moi »

Dès son premier film utilise des voix off pour nous faire connaître les personnages intérieurement, plus que par l’action.
Ici, nous avons trois voix off différentes, trois narrateurs, qui ont chacun leurs propres interrogations et obsessions. Terrence Malick a souvent recours à une narration décalée, les monologues intérieurs des différents personnages ne recoupent pas forcément ce que l’on voit à l’écran, ils peuvent même contredire l’image. On peut noter que les voix off pendant les scènes d’amour sont synchronisé avec l’image afin d’illustrer ce sentiment.

Un des plus bel exemple de la poésie des voix off du Nouveau Monde se situe pendant la relation amoureuse entre Pocahontas et John Smith. Comme dans un écho à l’ouverture, Pocahontas s’adresse à La Mère, lui demandant de lui envoyer un signe. Smith lui semble être un dieux ( référence aux conquistador en Amérique du Sud ). De plus cette voix off contient un changement de narrateur.
« Qu’est-ce que la vie si ce n’est être près de toi »
« Tout doit être donné à toi et à moi »
« Je te resterai fidèle, loyale »
« Deux puis maintenant un »

La Lumière

Terrence Malick voulait tourner le film comme un documentaire, en construisant un fort, il voulait pouvoir filmer sur tous les angles, pouvoir suivre le soleil et l’avoir derrière lui.
Aucun éclairage n’est utilisé, tous les décors, les lumières sont naturels. On ressent une sensation de réalité tout le long du film.

Quelle prouesse de filmer des images tels que les habitations indiennes, les feux de camps ou l’incendie au fort en lumière naturelle. Le Nouveau Monde nous offre une photographie magnifique et montre à l’image de Barry Lyndon que rien ne vaut la lumière naturelle.

Il aurait été dommage de glorifier la beauté de la nature en ne la respectant pas dans la photographie.

L’Amour et l’Incarnation de Pocahontas

Pocahontas et John Smith symbolise un amour platonique. John Smith part à la découverte de l’inconnu, non pas que de la nature mais aussi de l’autre.

Quand il parle de Pocahontas, Smith dit que même le soleil, qui la voyait tous les jours, était fasciné par sa beauté. Elle était la préférée de son père qui pourtant a douze femmes car elle surpasse les autres aussi par son esprit.
Même la cour d’Angleterre sera charmée par Pocahontas. Lors de sa rencontre avec le Roi, le page la présente ainsi : « Les anges nous ont envoyé douceur, grâce et volupté en cette princesse du nouveau monde ».

Pour Pocahontas, comme elle le dit à John Smith à la fin du film, la vie est un voyage, on ne vit qu’un temps, on ne fait qu’un passage, ensuite on meurt avant de revenir. L’actrice qui devait incarner Pocahontas devait arriver à représenter l’ensemble de cette philosophie, dans tout ce qu’elle fait.
Pocahontas représente la beauté, non pas une beauté physique ( il n’y a pas de tension sexuelle envers elle ) mais une beauté pure représentée par la pureté de son âme.
Que ce soit Smith ou Pocahontas, tous deux sont curieux, de plus la voix off de Smith nous a appris qu’il n’est pas un conquérant comme les autres, mais un rêveur. Ceux sont ces sentiments désintéressés présents chez tous les deux qui vont les rapprocher.
Une scène montre cette curiosité réciproque, la scène où au début du film Pocahontas joue avec son frère, imitant des animaux, à la vue de John Smith la musique, si envoûtante, s’arrête. Pocahontas ne paraît pas effrayée et de son coté Smith n’arrive pas à la quitter du regard.

Cette relation amoureuse entre eux ne tombera jamais dans les clichés, on est face à la relation d’une pureté universelle. Une scène représente à la perfection cette relation entre Pocahontas et Smith, la scène où Pocahontas offre sa plume à Smith et que lui en la caressant respire son souffle. Cette scène est narrée par une voix off qui nous fait comprendre que Smith ne voit plus que l’amour, que tout le reste pour lui est irréel. Il y a tant de pudeur dans cette scène.

De retour dans son camp, Smith commence à penser que ce qu’il a connu avec les Indiens était un rêve. John Smith lui dira lui-même ,plusieurs années après, avoir cru que ce qu’ils avaient vécu dans la forêt était un rêve. Il a été comme ensorcelé par Pocahontas.
Quand Pocahontas viendra l’aider en lui apportant à manger ( référence à Thanksgiving ), elle lui reprochera de ne pas être venu vers elle, ce à quoi Smith répondra qu’elle ignore ce qu’il est et de ne pas fier à lui. A la question de Pocahontas « Tu te rappelles ? » il ne répondra rien.
On réalise que Smith n’était pas amoureux de Pocahontas mais était envoûté par elle, à partir du moment où il l’a quittée, il a rompu l’envoûtement.
Suite à cette scène, Pocahontas se demandera « L’amour peut-il mentir ? » « Où es-tu mon amour ? ».

Cette illusion s’avère réciproque, Pocahontas va découvrir un autre Smith au fort, un Smith dont le peuple a dévasté la forêt. Pourtant toujours plongée dans son rêve, alors qu’elle est amenée au fort, elle pensera « Viens à moi » « approche » « touche moi ».

L’histoire d’amour entre John Rofle et Rebecca est différente. Rofle en la voyant se demande « Qui es-tu ? » « De quoi rêves-tu ? ». A ses côtés Rebecca semble se reconstruire et va accepter de l’épouser. Pourtant, marqué par le rêve qu’incarne Smith, elle ne l’aime pas. Rofle paraît à l’opposé de Smith. Ce dernier rêvait de conquête quand Rofle rêve de famille.

Il n’y a pas cette passion, Pocahontas se pose dès lors des questions :
« Mère, pourquoi je ne ressens pas ce que je devrai ? Il le faut, j’ai été fausse, je ne doit plus l’être. Retire l’épine. Il est comme un arbre, il me protège, je m’étend sous son ombre. Puis-je ignorer mon cœur ? Qu’est-ce qui vient de toi et qu’est-ce qui ne vient pas de toi ? O soleil reçoit mes remerciements, tu donnes vie aux ombres et collines, à l’eau qui parcourt la terre, à tout, Mère, ton amour est là devant mes yeux, montre moi la voix, apprend moi le chemin, donne moi un cœur humble ». Cette voix off est accompagnée d’images de couple s’aimant. Il lui faudra revoir John Smith, réalisant que le Smith, qu’elle imaginait, était un rêve, pour réaliser qu’elle aime John Rofle. Elle lui demande de rentrer chez eux en ajoutant « Mon mari » et en l’embrassant.

Conclusion

Terrence Malick présente la découverte de l’Amérique comme un rêve.

Le film se termine avec un certain optimisme. En effet, même si la destruction de ce nouveau monde paraît inévitable, et que Pocahontas finira ses jours en Angleterre, par le biais de son enfant ( signe de recréation ) elle vivra ses derniers instants de bonheur sur la pelouse anglaise « Mère, maintenant je sais où tu vis » et continuera à vivre en lui. Parce qu’il montre le rapprochement des peuples, Le Nouveau Monde est beaucoup moins pessimiste que La Ligne Rouge du même réalisateur.

Aussi pure que soit la relation entre Pocahontas et John Smith, tous les deux sont issus d’univers opposés et on sait à l’avance que ce bonheur ne pourra durer éternellement. Il faudra que Pocahontas devienne une « femme civilisée » pour connaître un bonheur durable, cette fois ci avec John Rofle.

Les scènes où Pocahontas passe dans l’univers de la langue anglaise en passant d’abord par le corps font parties des plus belles scènes de l’histoire du cinéma.

On est avec Le Nouveau Monde face à un poème visuel, face à un monument du cinéma.
Tout au long du film, des sentiments différents nous envahissent, des images d’une beauté rare restent dans notre esprit et une musique résonne dans notre tête.

TitCalimero

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