L'Aimée

Fiche du film

Réalisation : Arnaud Desplechin
Scénario : Arnaud Desplechin
Musique : Grégoire Hetzel
Acteurs principaux :
Arnaud Desplechin
Robert Desplechin
Pays : France
Genre : Documentaire
Durée : 66 minutes
Année : 2007

Critique

« J’ai trop bu le sang noir des morts » disait Michelet à propos des archives historiques qu’il parcourait quotidiennement. S’abreuver de cette encre marquée d’histoire, qu’ils n’ont pourtant côtoyée que par la poussière, apparaîtra chez certains comme une expérience des plus salvatrices. Car un travail ambivalent sur soi et sur l’autre se réalise bien souvent dans cette descente aux archives, dans cette recherche, intimement liée aux objets marqueurs du temps. Une tâche ayant comme dessein de compenser l’absence, de connaître, se connaître à travers cette absence.

Unique documentaire d’Arnaud Desplechin, cinéaste obsédé par l’Histoire et le souvenir,l’Aimée, œuvre des plus intimes, excelle dans ses mises en abyme et ses réflexions sur ce qui n’est plus. Dans ce film de famille, ce dialogue entre générations, nous suivons Desplechin père et fils, ainsi que les trois enfants de son frère Fabrice, têtes blondes curieuses, dans la maison familiale aux tuiles rouges de Roubaix. La maison s’apprête à être vendue, mais avant, il faut que deuil s’opère.

La mère de Robert, le père d’Arnaud Deplechin est décédée d’une maladie respiratoire en 1936, lorsqu’il avait à peine 18 mois. Robert n’a donc pu véritablement la connaître. L’aimée d’Arnaud Desplechin elle, est décédée d’un accident il y a quelques mois. Mais cette aimée ne fût jamais photographiée et n’existe qu’à travers un dessin, ultime tombeau de son souvenir. L’on pourrait se demander ici quel rapport s’opère entre la perte de la mère, jamais connue et la perte de sa compagne. L’évidence réside dans l’image. De la forme du visage, aux yeux, en passant par leur chevelure sombre presque exotique, la mère et l’Aimée se ressemblent. S’accomplit alors pour le cinéaste un glissement mémoriel. Si Robert n’a lui de fait jamais connu sa mère que comme absence, qu’à travers des souvenirs, les photographies, les mots, les lettres chuchotantes ou révoltées, écrites à la lueur de la maladie, elles, sont bien présentes.

Thérèse, la mère et grand-mère méconnue, renaît par le portrait. Elle n’avait que 35 ans lorsqu’elle décéda emportée par cette longue maladie respiratoire, qui l’envoya de longs mois au sanatorium et qui l’aura privée, par sa contagiosité, de voir, mais surtout d’étreindre son fils. Cette absence fût pour elle le grand mal de sa vie. « Ne plus le voir c’est ma page noire » écrit-elle poétiquement dans l’une des lettres à sa mère. Ce style poétique, Robert ne manque guère de le souligner fièrement. Elle était issue d’une très vieille famille bourgeoise de Roubaix, qui possédait de nombreuses maisons. Elle chantait divinement et prenait des cours de chant. Elle s’était mariée relativement tard, à 32 ans, et était restée très proche de sa famille. Elle avait fait des études d’infirmière et faisait preuve, selon le portrait tiré par son fils de différents témoignages, d’une grande compassion à l’égard d’autrui. Difficile, à travers cette recherche d’archives, de ne pas être marqué par la qualité d’écriture de Thérèse. Thérèse, seule, à l’hôpital, entourée d’une « odeur de poison », qui voit et banalise la mort par une écriture habitée, accentuée par sa profonde solitude et son incapacité à agir. « Je n’ai plus de force d’être au lit » écrit-elle si douloureusement. Mais la mort la rattrapa naturellement. En cette dernière journée, elle fût prise d’une euphorie des plus rieuses, et grimaça longuement face au miroir de sa chambre en la compagnie de sa sœur. La dérision, « capacité des plus nobles » selon Robert. Au petit matin, elle n’était plus. À sa mort, son fils fût choyé par la famille de Thérèse jusqu’à ses sept ans. Puis, son père se remaria avec Marie- Louise, appelée « mamie » par refus du trop symbolique « maman ». Elle l’adopta néanmoins lorsqu’il eut 50 ans. Comme Thérèse et l’Aimée, Thérèse et Marie-Louise se ressemblaient : Marie- Louise était infirmière et chantait merveilleusement. Pour Robert, cette « assimilation s’est faite peu à peu à travers un creuset qui était moi ». L’assimilation est le miroir essentiel du film. Mais Desplechin, à travers ce deuil déguisé, salutaire, fait revivre Thérèse. Il l’a fait revivre par le cinéma, en déplaçant notamment ses échanges épistolaires sur les lèvres de Lilian Gish, mère brisée, ultime étoile, dans La nuit du chasseur de Laughton. Malgré sa présence spectrale sur les photos de famille et le caractère profondément tragique de sa mort, elle n’est pas seulement « une vie arrêtée, libérée de tout destin » (A.Bazin sur la photographie, Qu’est-ce que le cinéma ?), le devenir de Thérèse est d’être un remède pour le cinéaste et pour son fils ; par son absence, les questionnements qui sourdent afin de recréer cette vie injustement arrêtée.

Les déambulations par le passé terminées, le temple se vide peu à peu, les déménageurs emportent soigneusement les derniers tableaux. Subsistent pourtant les souvenirs, les joies, les cris, les pleurs, éternellement ancrés dans cette maison, riche d’Histoire.

Mrs_Robinson

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