Les Blanches Terres

Fiche du film

Réalisation : Amélie Cabocel
Scénario : Amélie Cabocel
Acteurs principaux :
Michelle Cabocel
Pays : France
Genre : Documentaire
Durée : 93 minutes
Année : 2019

 

Critique

À l’ère de l’omniprésence médiatique de la mort, plus que jamais parlons-nous de la vieillesse. Rares sont les personnes n’ayant pas entendu dans leur entourage ou au détour d’un marché, un discours fièrement assumé de personne, criant qu’il faudrait simplement confiner nos aînés, les vacciner en dernier, voir les laisser périr, afin que nous, les plus jeunes, continuions à vivre.

Mort et vieillesse semblent être deux concepts s’impliquant mutuellement. Mais à quoi ressemble la vie passé un certain âge ? Ou peut-on tout simplement vivre passé un certain âge alors que nous ne sommes plus utiles à la société ? Montrer la vieillesse n’est pas une entreprise des plus simples, surtout quand celle-ci fait tâche pour certains. Certains s’y sont pourtant essayés artistiquement comme Eustache et sa grand-mère Odette Robert ou Dusan Hanak et son Images du vieux monde.

Seulement, seule la fraîcheur des nouveaux et chanceux retraités se veut la plupart du temps mise en avant dans les magasines pour senior. Hormis Jane Fonda et son lifting, rares seront les femmes de plus de 80 ans qui seront photographiées et représentées dans des magasines de cet acabit. Rares  sont aussi ces magazines qui s’adresseront aux petites gens, aux retraités de la terre et de l’industrie. Le temps où l’on enfermait ces personnes, dont la société ne voulait plus dans des asiles d’aliénés n’est pas si loin de notre époque. S’ils sont aujourd’hui moins enfermés par l’espace, paradoxalement, nous ne les montrons guère plus et les rangeons dans une grande case : non pas celle de la vieillesse mais celle des vieux. Disons le plutôt grossièrement mais pour beaucoup en effet, il existe des « bons » vieux et des « mauvais » vieux, les « woke » contre les « réacs ». Le bon vieux a une bonne retraite, œuvre dans une association, va au cinéma, voyage et s’intéresse à la jeunesse qui l’entoure. Le mauvais vieux en revanche, est raciste, ronchon, impoli, négationniste, réactionnaire et ne pense guère au réchauffement climatique. Une dichotomie ahurissante mais pourtant ancrée dans de nombreux esprits.

La réalisatrice et photographe Amélie Cabocel filme ici sa grand-mère Michelle, née en 1933, presque 85 ans et veuve depuis 20 ans dans sa maison de Lorraine qu’elle n’a jamais quittée. La Lorraine et ses villages abandonnées et désertés, les blanches terres, semblant vierge d’une certaine civilisation et d’une certaine modernité. Plus de banques, plus de bar, plus de pizzeria, seule la boulangerie subsiste. Entourée du portrait de son défunt mari et de la présence du bon dieu, Michelle lit chaque jour la rubrique nécrophile du journal local en s’étonnant qu’il y ait peu de décès, « parfois il y a même deux pages », répète-elle plusieurs fois. Michelle a eu de nombreux cousins et cousines, son père étant issue d’une grande fratrie. Certains sont partis, mais il reste « le Bernard », « le François » et leurs compagnes. Ses cousins et sa famille sont immortalisés sur ses murs et ses albums photos. Immortalisés, ils traversent le temps, œuvrent comme mémoire et tempèrent un manque certain chez Michelle. Partant du constat, que sa grand-mère ne fait plus de photos et consciente de leur effet cathartique, Amélie Cabocel décide de lui partager son projet : la réunir avec ses cousins afin de les prendre en photo comme le passé leur en donnait l’habitude. Un passé omniprésent par l’image et le verbe mais dialoguant formidablement avec un certain futur et une certaine idée d’éternité. Ancien forgeron grâce à son père et campant fièrement dans son propre musée crée à partir de curieux objets d’artisanat, que l’on qualifierait volontiers aujourd’hui de désuets, Bernard nous partage sa plus grande fierté : sa descendance.

Au-delà de la question de l’image comme testament et de la question de la filiation, le film questionne le rapport des personnes âgées à leur propre image, aux marques du temps sur leur corps et leur visage. Ce que nous montre la réalisatrice, c’est que notre société de l’utile censure et cache la vieillesse. Ne plus être photographié pour ne plus se voir et ne plus être vu. Ici, elle ne censure ni les corps ni les questionnements autour de celui-ci, en témoigne un travelling poétiquement lent sur le bras ridé de Michelle (par ailleurs l’un des seuls gros plans du film, la réalisatrice filmant les visages en plans moyens dans une certaine tradition portraitiste). Le choix de la mise en scène très cadrée, au fil des saisons, jouant avec le visible et l’invisible, épouse judicieusement cette idée très photographique d’immortalisation de la petite histoire. La première réaction de Michelle face à l’annonce du projet photographique de sa petite-fille, concerne sa laideur et sa vieillesse marquée ; elle le dit elle-même au vue d’une première photographie, l’on remarque dans son regard qu’elle manque de confiance et qu’elle semble être envahie de nombreux questionnements. Pourtant, elle décide de sortir pour l’occasion une robe conçue par ses soins il y a une trentaine d’années, destinée au mariage de sa filleule, robe qui n’a jamais eu l’occasion d’être photographiée. Des pommiers en fleur, une robe fleurie, un temps radieux et Michelle se retrouve immortalisée dans sa propre histoire. Par une ultime photographie, devant la photo de son père enfant entouré de sa famille, elle devient avec ses cousins et de manière particulièrement expressive, une figure intemporelle, indépassable pour sa descendance et pour tous ses contemporains.

Mrs_Robinson

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *