Shara

Fiche du film

Titre original : Sharasojyu
Réalisation : Naomi Kawase
Scénario : Naomi Kawase
Musique : Ua
Acteurs principaux :
Kohei Fukungaga
Yuka Hyyoudo
Pays : Japon
Genre : Drame
Durée : 99 minutes
Année : 2003

 

 

Critique analytique :

Naomi Kawase signe un film à la mise en scène impeccable. Le tour de force de la réalisatrice japonaise a été d’opter pour un style épuré, ce qui permet de se concentrer davantage sur les émotions latentes des personnages.

Dénué de dialogues inutiles, focalisé sur les émotions retenues des personnages, Shara tire aussi sa force en nous faisant suivre le quotidien d’une famille meurtrie depuis la disparition étonnante de Kei, l’un des enfants.

La réalisatrice a opté pour un style réaliste qui peut parfois déranger notamment à cause de la caméra instable. L’on reste tout de même épaté par les longs plans séquences particulièrement bien réalisés, notamment lorsque Shun arpente à vélo les petites rues de Nara.

Bien que réalisé dans une veine réaliste, Shara part pourtant d’un évènement plus ou moins fantastique : la disparition de Kei au bout d’une allée, dénuée de recoins dans lesquels se cacher.

Alors que Shun et son frère Kei courent dans la même direction, Kei disparaît au coin d’une rue, comme enlevé par les Dieux. Pourquoi Kei a-t-il disparu et pas Shun alors qu’ils étaient ensemble ? Le destin est-il écrit ? Si tel est le cas, pouvons nous y échapper ? Possible.

Et pourtant, la disparition de Kei a quelque chose de prémonitoire. En effet, lorsque son frère lui demande où il va, ce dernier lui répond « J’en sais rien ». Bref, personne ne sait où il va et ce que la vie lui réserve.

Dans Shara, la vie apparaît aussi précieuse que fragile. Tout peut se briser en quelques secondes. Au moment même où Kei disparaît, la vie de famille des Aso s’envole.

Profond et intense, Shara pose des questions impossibles : Comment faire le deuil de son enfant ? Comment une famille peut-elle continuer à vivre au quotidien après la perte tragique d’un enfant ? Comment renaître ?

L’Art apparaît comme un exutoire (la peinture pour Shun et l’organisation de la fête pour le père), mais ne parvient pas à mettre un terme à la douleur liée au deuil. C’est la naissance d’un nouvel enfant qui permet de libérer les personnages de leurs souffrances respectives. Et c’est justement là que les émotions retenues ont leur importance. Toujours contenues, elles explosent lorsque la mère Aso met son dernier enfant au monde, ce qui permet à Shara de gagner en émotion.

Calme et apaisant, parfois long pour certains spectateurs, Shara contient pourtant une magnifique scène de danse. D’une longueur d’environ dix minutes, cette danse exorcisante libère toutes les énergies accumulées et contenues depuis le début du film. La pluie se met même à tomber lors de la fête de Basara, ce qui n’empêche personne de continuer à danser pour repousser les forces du Mal.

Bien que blessés, les personnages de Shara ont tous l’avantage d’être vivants et humains. Chaque spectateur peut un peu se retrouver en eux. C’est ce que nous voyons par le biais des différentes réactions des personnages : le père de Shun donne une fausse alerte pensant que sa femme va accoucher immédiatement, Shun écroulé de douleur lorsqu’il apprend que le corps de son frère a été retrouvé, la mère interprétée par la réalisatrice elle-même s’occupant de son précieux jardin et etc …

Parallèlement à l’histoire de Shun, se greffe celle de Yu, une voisine et amie de Shun. Cette dernière apprend que la femme qu’elle appelle « maman » n’est en fait que sa tante. Là aussi, tous les sentiments sont intériorisés. L’histoire de cette jeune fille est donc aussi très émouvante.

Kei qui a disparu depuis le début du film est pourtant bien présent par le biais de son absence. Tout d’abord, il vit à travers sa famille qui l’aime et qui pense à lui. Mais là où la réalisatrice se surpasse, c’est d’intégrer le regard de Kei au film. C’est bien à travers les yeux de Kei que se termine le film. Après la naissance de l’enfant, Kei s’envole comme apaisé et soulagé. La vie va pouvoir continuer sans lui. Non pas qu’il sera oublié, mais la vie va prendre une nouvelle dimension.

Notons un élément intéressant, Kei a disparu lors de la fête du dieu Jizo. Qui est le dieu Jizo ? Ayant désiré rester sur terre pour protéger les enfants perdus et les voyageurs, Jizo vient en aide aux enfants décédés.

Jizo aide l’âme des enfants partis trop tôt, à traverser le fleuve Sanzu.

Ce dieu-caméra qui suit régulièrement Shun et sa famille est sans doute à la fois Jizo et Kei protégé par ce dernier.

Après la naissance de l’enfant, Kei peut reposer en paix. Jizo l’a sans doute conduit jusqu’au salut. Sa famille a fait le deuil et peut continuer à vivre de son côté. Cela ne signifie pas que Kei sera oublié, mais que la page douloureuse de sa mort sera tournée.

C’est simplement le cycle de la vie : la vie et la mort qui se côtoient au quotidien et qui ne laissent personne indifférent.

Le thème de la renaissance est abordé par différents éléments : la grossesse de la mère de Shun, l’amour naissant entre Yu et Shun, le jardin prospère de la mère de Shun, la danse exorcisante et etc …

La réalisatrice japonaise a bien compris ce que signifie le mot « vie ». Il n’est pas nécessaire de faire des choses incroyables pour marquer une vie, il suffit juste de vivre au quotidien, car ce sont tous ces moments qui reviennent encore et toujours qui font de nous ce que nous sommes.

Shara raconte simplement la vie en mêlant ce que chacun d’entre nous est plus ou moins amené à vivre : la disparition et la naissance; la mort et l’amour.

Erin

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